C’est un attentat très ciblé qui vient conclure une folle semaine de harcèlement sur internet. La victime était Samuel Paty, âgé de 47 ans, été décapité vendredi 16 octobre alors qu’il quittait son collège de Conflans-Sainte-Honorine, à l’ouest de Paris. Le terroriste s’appelle Abdouallakh Abouyezidovitch Anzorov, il est un réfugié d’origine tchétchène né à Moscou il y a 18 ans. A l’origine, une polémique montée après que le professeur avait montré à ses élèves des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression. Ces caricatures avaient été publiées par l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, frappé en janvier 2015 par un attentat revendiqué par AQPA qui avait décimé la rédaction.
Dans les jours qui ont suivi ce cours, plusieurs posts sur les réseaux sociaux et des vidéos étaient apparues sur YouTube, qui affirmait que le professeur aurait demandé aux musulmans de “se désigner et de quitter la classe” avant d’exhiber des “images pornographiques”, et qu’il aurait fait suspendre de l’école pendant deux jours une élève qui aurait protesté. Cette vidéo a été réalisée et diffusée par un parent d’élèves qui traitait M. Paty de “voyou” et appelait à “dire stop”.
“Il est aujourd’hui clair que le professeur a été nommément désigné comme une cible sur les réseaux sociaux au moyen de manœuvres et d’une réinterprétation des faits”, a résumé le procureur national antiterroriste lors d’une conférence de presse. Le magistrat a désigné deux responsables principaux: un parent d’élève à l’origine de la polémique, désigné comme Brahim C., et un militant islamiste nommé Abdelhakim Sefrioui. Une plainte avait été déposée par le parent d’une élève contre le professeur d’histoire-géographie pour “diffusion d’images pornographiques”. Le professeur avait en retour déposé plainte pour diffamation publique. Le service de renseignement territorial, en charge du bas du spectre de la menace terroriste, avait rédigé une note sur l’incident mais aucune mesure de protection particulière n’avait été mise en place.
L’enquête révèle que le terroriste a eu plusieurs échanges téléphonique avec le père d’élève à l’origine du harcèlement. Mais lorsqu’il arrive devant l’école ce vendredi en fin d’après-midi, le tueur ne connaît que le nom du professeur. Il va demander l’aide de deux élèves de 14 et 15 ans pour l’identifier, qui le lui désigneront en échange d’une somme de “300 ou 350 euros”. Ces élèves sont poursuivis pour complicité même s’ils affirment que le terroriste leur avait affirmé n’avoir que “l’intention de filmer le professeur, de l’obliger à demander pardon pour la caricature du prophète, de l’humilier, de le frapper” selon le magistrat antiterroriste.
Détail gênant pour les services antiterroristes: Abdoullakh Anzorov n’était ni connu, ni fiché. Pourtant, sa radicalisation remonte à environ un an et n’avait pas été particulièrement discrète. L’exploitation du compte Twitter sur lequel il a revendiqué son acte a permis de faire remonter des centaines de posts extrêmement virulents, dont plusieurs avaient été signalés à la fois à Twitter et à la plateforme mise en place par la police (Pharos). Les premiers éléments d’investigations de la sous-direction antiterroriste (SDAT) et de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) révèlent son prosélytisme auprès de sa famille, son rejet des femmes, desmessages faisant l’apologie du djihad et même contact avec la Syrie selon les enquêteurs. “En dépit de ces signes de dérive sectaire, ce Tchétchène de 18 ans d’Évreux (Eure) est resté sous les radars des services de renseignement : il n’était ni “fiché S”, ni surveillé”, écrit le journal Le Parisien, qui a eu accès aux pièces de l’enquête.
Le compte @Tchetchene_270, créé en juin dernier et tenu par Abdouallakh Abouyezidovitch Anzorov, se montre également critique envers les soufis et tous ceux qui ne partagent pas sa vision de l’islam, qu’il définit comme salafiste. Il concentre ses critiques contre le régime saoudien du prince héritier, Mohammed Ben Salman et celui du chef de la République de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov mais il prend la défense du président turc Recep Tayyip Erdogan et des talibans afghans.
Si l’on en croit son compte Twitter, sa radicalisation s’accélère soudainement le 25 septembre. Ce jour-là, un demandeur d’asile pakistanais se rend à l’ancien siège de Charlie Hebdo, qui a déménagé depuis l’attentat de 2015. Ne trouvant pas le journal, il blesse sérieusement deux journalistes d’une agence de presse voisine avant d’être interpelé. À compter de cette date, Abdouallakh Abouyezidovitch Anzorov cherche à obtenir les adresses de trois personnes coupables à ses yeux d’avoir insulté le Prophète. Sans succès. Samuel Paty, le professeur de Conflans, était la quatrième personne à laquelle il s’est intéressé.
A partir du 11 octobre, il ne publie plus rien et efface même tous ses messages, à l’exception de deux vidéos d’anashids tchétchènes. Il modifie son profil Twitter pour faire comprendre qu’il cherche le martyre. Puis le compte demeure inactif jusqu’aux minutes suivant l’attentat, lorsqu’il poste une photo de la tête de sa victime.
La réaction en France a été très vive, relançant les débats déjà très clivants autour de la notion de laïcité. Le ministre de l’Intérieur a annoncé l’expulsion imminente de “231 personnes en situation irrégulière et suivies pour soupçon de radicalisation” -mais il s’agit surtout d’un effet d’annonce politique, la plupart de ces procédures étaient lancées de longue date et retardées par la crise pandémique. Un autre angle de réponse a été les milieux associatifs. Le conseil des ministres a prononcé la dissolution du collectif pro-palestinien Cheikh Yassine, “impliqué, lié à l’attentat de vendredi dernier et depuis bien longtemps le faux nez d’une idéologie antirépublicaine qui diffuse la haine”, selon les termes du porte-parole du gouvernement Gabriel Attal.
Le ministre de l’Intérieur souhaite aussi la dissolution d’associations comme le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), qualifié d’ “ennemi de la République” ou l’ONG proche des salafistes BarakaCity. Le ministère des Finances a été mis à contributions pour vérifier par des contrôles fiscaux l’origine des financements de 51 associations considérées comme suspectes. Le président de la République a annoncé qu’il était prêt à mener “une bataille sécuritaire, éducative, culturelle, et une bataille qui va durer” contre l’islamisme politique.
On a aussi noté des réactions violentes visant des musulmans, comme l’agression au couteau de deux femmes voilées à proximité de la Tour Eiffel qui semble, selon les premiers éléments de l’enquête, avoir des motivations racistes. Une mosquée de Bordeaux a eu des tags et des vitres brisées, une de Béziers a été menacée sur Facebook. Le ministre de l’Intérieur a demandé sur Twitter “aux préfets des départements concernés de protéger ces lieux de culte. De tels actes sont inacceptables sur le sol de la République”.
Le 21 octobre, un hommage national a été rendu au professeur assassiné dans la cour prestigieuse de l’université de la Sorbonne. Porteur de l’émotion de la nation, Emmanuel Macron a prononcé un discours dénonçant les “lâches” qui ont livré Samuel Paty “aux barbares”. Samuel Paty, a estimé Emmanuel Macron, était “de ces professeurs que l’on n’oublie pas”, celui qui “montre la grandeur de la pensée, enseigne le respect, donne à voir ce qu’est la civilisation.” Le président français a enfin rappelé que la France ne renoncerait pas “aux caricatures ni aux dessins”. S’adressant au professeur, il a promis: “nous continuerons ce combat pour la liberté et pour la raison dont vous êtes désormais le visage.”
European Eye on Radicalization vise à publier une diversité de points de vue et, en tant que tel, n’approuve pas les opinions exprimées par les contributeurs. Les opinions exprimées dans cet article ne représentent que l’auteur.