European Eye on Radicalization
Le Royaume-Uni n’a pas non plus été le seul à prendre des mesures. Les nouvelles au sujet de l’interdiction ont été rapidement suivies d’informations selon lesquelles Naik avait également été banni du Canada traditionnellement libéral.
Au final, dans l’affaire Naik et le Royaume-Uni, affaire classée?
Indésirable, mais présent
En un mot, non. Naik est toujours une figure de proue sur sa chaîne Peace TV et elle est diffusée au Royaume-Uni par Sky, un grand groupe de médias. La télédiodiffusion est assez strictement réglementée au Royaume-Uni, ce qui donne à se questionner.
En fait, en novembre 2018, l’Ofcom, l’organisme de réglementation de la radiodiffusion, a vraisemblablement ouvert pas moins de six enquêtes sur Peace TV plus tôt dans l’année.
L’Ofcom a déclaré à European Eye on Radicalization qu’elle mène actuellement sept enquêtes sur Peace TV. Aucune décision n’a encore été rendue et, pour le moment, l’organisme de réglementation ne peut dire quand elle le sera.
L’organisme de réglementation s’est déjà prêté à cet exercice, plus d’une fois.
En 2016, il a infligé une amende de 65 000 £ à la chaîne Ourdou de Peace TV pour avoir diffusé les propos antisémites d’Israr Ahmad, un universitaire, en 2015. Ofcom a dit qu’Ahmad a fait référence au peuple juif comme étant «ce peuple maudit… cette race maudite…» ayant élaboré un «mauvais plan», possédant «un mauvais génie», ayant causé la Première Guerre mondiale et rempli l’Europe «de leur poison » tout au long de l’histoire.
L’Ofcom a conclu que les paroles d’Ahmad «pouvaient être interprétées comme une forme de discours haineux antisémite et, de ce fait, risquaient manifestement de causer une offense considérable». Pour l’Ofcom, cela constituait une «infraction grave» aux règles de télédiffusion, qui justifiait une sanction.
En 2012, l’Ofcom a mené une enquête sur une émission de télévision diffusée sur Peace TV où Naik avait déclaré «J’ai tendance à être d’accord» avec les universitaires qui disent que les apostats de l’Islam qui propagent leurs nouvelles croyances devraient être tués. Le même sort devrait attendre ceux qui «créent des méfaits dans le pays», a-t-il ajouté, bien que l’amputation de membres ou l’exil soient également possibles dans ce cas. L’Ofcom a jugé que cette émission «n’appliquait pas les normes généralement reconnues», même après que l’organisme de réglementation avait soigneusement pesé les considérations relatives à la liberté d’expression.
En 2009, l’Ofcom a rapporté qu’un passage d’une conférence islamique «indiquait clairement qu’un mari pouvait utiliser la violence physique» contre sa femme dans certaines circonstances. Cette transmission constituait également une violation des règles en matière de télédiffusion.
De plus, Zakir Naik n’est pas le seul orateur de Peace TV à avoir été banni du Royaume-Uni. La station a également fait la promotion de Hussain Yee, un prédicateur malaisien qui a fait des déclarations antisémites grossières, et de Bilal Philips, un extrémiste canadien notoire qui a été banni dans plusieurs pays.
La chaîne fait également la promotion des prédicateurs britanniques qui sont largement considérés comme des extrémistes. L’un des pires, Haitham al-Haddad, a été l’hôte des dizaines d’émissions de Peace TV. D’autres sont Abdur Raheem Green, Abu Suhaib, Abu Abdissalam et Yusuf Chambers.
Emma Webb du groupe de réflexion de la Henry Jackson Society s’est penchée sur ce bilan en 2018 dans un rapport sur la télédiffusion et l’extrémisme. Elle est arrivée à une conclusion catégorique:
L’Ofcom doit immédiatement révoquer la licence de diffusion de Peace TV au motif qu’elle n’est ni «apte ni appropriée» pour la détenir. Il est évident qu’une personne qui se voit interdire l’entrée dans le pays est inapte à détenir une licence de télédiffusion. C’est tourner en dérision l’ensemble du système que d’interdire à une personne d’entrer dans le pays parce qu’elle n’est pas «propice au bien public», mais lui permettre d’accéder au public britannique pour une période supplémentaire de huit ans.
Néanmoins, à l’heure actuelle, Sky continue d’inscrire Peace TV parmi ses chaînes et Zakir Naik est un administrateur de l’Islamic Research Foundation International, une organisation caritative britannique enregistrée qui finance Peace TV. Au cours de l’exercice financier se terminant en janvier 2018, elle a accordé 779 775 £ à Peace TV. Naik a seul le pouvoir de nommer et de révoquer les fiduciaires de l’organisme de bienfaisance.
Les défis asiatiques
La situation au Royaume-Uni semble encore plus remarquable lorsqu’on se penche sur les défis auxquels Zakir Naik est confronté en Asie.
Pour sa part, l’Inde veut qu’il soit extradé de Malaisie, où il a de puissants amis auprès desquels il trouve refuge depuis 2016.
L’Inde soupçonne Naik de blanchiment d’argent et de discours haineux et lui a déjà saisi des biens indiens d’une valeur d’environ 7 millions de dollars.
En octobre 2017, l’Agence nationale d’investigation du pays a porté plainte contre Naik, l’accusant de «promouvoir l’inimitié et la haine entre différents groupes religieux en Inde à travers ses discours et conférences publiques». La branche indienne de la Islamic Research Foundation de Naik a été déclarée «association illégale». Le passeport de Naik a également été confisqué.
Les autorités indiennes sont depuis longtemps préoccupées par Naik et Peace TV. Le pays refuse d’octroyer les droits de diffusion à Peace TV depuis 2008, malgré des demandes répétées.
Le Bangladesh a pris des mesures en 2016 à la suite de l’attaque terroriste islamiste contre la boulangerie Holey Artisan à Dhaka, qui a fait 22 morts. Il a déclaré que l’un des assaillants était inspiré par Naik et qu’il allait interdire Peace TV dans le pays. Le ministre de l’Information du pays, Hasanul Haq, s’est montré ferme, affirmant que Peace TV «n’est pas compatible avec la société musulmane, le Coran, la Sunnah, le Hadith, la Constitution du Bangladesh, notre culture, nos coutumes et rituels».
Même dans son refuge malaisien, Naik a ses adversaires. En octobre 2018, Mujahid Yusof Rawa, ministre des Affaires religieuses du pays, a reproché à Naik en ces paroles: «Nous ne voulons pas d’un débat qui ridiculise les autres. Nous avons besoin d’une méthode de propagation islamique plus intellectuelle et composée, sans avoir besoin de ridiculiser les autres religions.»
En fait, le nouveau gouvernement de la Malaisie est divisé sur la question Zakir Naik. Certains ministres pensent que sa présence en Malaisie n’est pas la bienvenue, malgré le soutien de Mahathir Mohamad au prédicateur. Officiellement, la Malaisie veut plus de preuves de l’Inde pour le cas d’extradition, mais elle a fait savoir que Naik «devrait être plus modéré et mieux contrôlé».
L’approche incluant la «Société tout entière»
De plus en plus souvent, ces derniers temps, les décideurs politiques et les spécialistes de la déradicalisation au Royaume-Uni ont préconisé une approche à l’extrémisme axée sur l’inclusion de la «société tout entière».
Il ne suffit pas, de ce point de vue, de laisser les extrémistes aux seuls experts en sécurité. C’est probablement le genre de personne qui a exclu M. Naik du Royaume-Uni en 2010. Au contraire, un vaste effort du secteur public, conjugué à des pans entiers de la «société civile» est nécessaire. Ces voix sont en train de gagner du terrain et un tel effort est en cours.
Dans ce contexte, il semble donc étrange que M. Naik ne soit pas le bienvenu sur les côtes britanniques, mais qu’il soit également libre d’émettre vers la population sur une plate-forme grand public, présentant souvent des prédicateurs britanniques connus pour être des extrémistes. Le fait qu’il le fasse en tant qu’administrateur d’un organisme de bienfaisance enregistré, jouissant de tous les avantages financiers du statut d’organisme de bienfaisance, rend son histoire britannique d’autant plus curieuse.