L’ultime attaque
Le 3 août, un homme armé a ouvert le feu dans un hypermarché Walmart, à l’est d’El Paso, une ville située au Texas. Patrick Wood Crusius, puisse qu’il s’agit de lui, a tué 22 personnes et en a blessé 24 autres dont des enfants. L’assaillant s’est servi d’un WASR-10, une version civile semi-automatique du célèbre AK-47.
Après la fusillade, Patrick Wood Crusius a pris la poudre d’escampette, avant d’être rattrapé non loin d’un carrefour par la police. Crusius s’est rendu sans résistance et a confirmé qu’il était bel et bien le tireur. Au cours de ses premières entrevues avec la police, le terroriste était froid et taciturne, comme un «soldat en pleine mission».
Il a effectué plus de dix heures de route pour rallier El Paso, mais s’est perdu dans un quartier une fois arrivé dans la ville. Les premières investigations montrent qu’après avoir rapidement pris un repas à Walmart, Crusius se réjouissait de l’importante foule qui s’y trouvait (près de 2000 personnes), et décida de mener son attaque à cet endroit précis.
Son ancien camarade de classe le décrivait comme quelqu’un d’asocial à l’école et d’autres poussaient le bouchon plus loin en le traitant de «ringard». Sur son profile LinkedIn, Crusius se présentait comme programmeur informatique, car il passait huit heures par jour assis devant son ordinateur portable.
Le FBI (Federal Bureau of Investigation) range l’attaque de Crusius dans la catégorie des crimes de haine et du terrorisme national. Il est fort probable que les procureurs demandent la peine de mort.
Le manifeste
Les premières enquêtes ont révélé l’existence d’un manifeste rédigé par Crusius et intitulé «La vérité qui dérange». Il a été posté sur 8chan, un site web connu comme étant le bastion des internautes d’extrême droite. En lisant ce manifeste, nous avons un aperçu de sa vision de l’économie, de l’histoire, mais aussi du rôle qu’il se voyait jouer dans ces différents secteurs.
Le document de quatre pages est constitué de six parties : à propos de moi; raisons politiques; raisons économiques; équipement; réactions; raisons et pensées personnelles.
Étrangement, aucune des parties «à propos de moi» ou «mes raisons et pensées personnelles» ne décline le nom de l’assaillant, ne parlons même pas des autres informations personnelles. Crusius se présentait comme un sympathisant de Brenton Tarrant, le tireur de Christchurch. Il s’opposait à un avenir où des emplois seraient perdus, laissant place à l’automatisation et «l’invasion» hispanique.
Dans la partie «raisons politiques», Crusius affirme que le Texas sera bientôt le principal théâtre d’un coup politique qui détruira son pays, les États-Unis et le transformera en un État à parti unique. Ce sera possible grâce aux migrations de masses, pour la plupart illégales des latinos issus du Mexique et d’Amérique centrale vers le Texas. Crusius pense également qu’avec le temps, le droit de vote leur sera donné et ils voteront tous pour le parti démocrate, évinçant ainsi du pouvoir les républicains de manière définitive. L’assaillant abhorre le système économique capitaliste, qui selon lui va de pair avec l’immigration de masse vers les USA en quête de main-d’oeuvre bon marché. Il estime que les grandes entreprises exploitent le pays et détruisent les valeurs traditionnelles.
Crusius soutient qu’une possible solution à ce problème serait la confédération, où chaque race se verrait octroyer au moins un territoire. Cette séparation physique réduirait donc «le mélange des sangs» qui, pense-t-il, détruit la société. Selon Crusius, l’inaction est un choix et la «honte de l’inaction» n’est pas acceptable dans un pays comme les USA, où il y’a encore du temps, le temps de se battre.
Par cette rhétorique du combat, Crusius à travers son manifeste incite le peuple à s’en prendre aux cibles faciles, mieux, à «ramasser un fruit à portée de main». «N’attaquez pas des endroits lourdement gardés pour satisfaire des lubies de soldats d’élite virtuels», ajoutait-il.
Le fait que Crusius fasse allusion à «l’invasion hispanique» le place dans la catégorie des suprémacistes blancs. Mais lorsqu’il fait part de son souhait de «défendre» le Texas, il épouse la doctrine de «l’accélérationnisme», idéologie à laquelle adhèrent aussi certains suprémacistes blancs, des membres d’extrême gauche et d’autres forces radicales. La prochaine étape consistera donc à «intensifier les contradictions». Comme les marxistes aiment à le dire, attaquer de manière systématique pour accélérer la polarisation politique équivaut à détruire les sociétés démocratiques occidentales. Les extrémistes «accélérationnistes» estiment qu’ils auront remporté la victoire lorsque le Chaos aura atteint son paroxysme. Certes Crusius voulait accélérer ces tendances, mais son intention principale était d’y mettre un terme par le chaos.
Similitudes et différences par rapport aux précédents terroristes
Le manifeste de Crusius converge et diverge sur plusieurs points avec ceux de deux autres suprémacistes blancs : John T. Earnest et Brenton Tarrant, des terroristes de la synagogue de Poway et la mosquée de Christchurch respectivement.
Earnest et Crusius n’ont pas su produire un travail aussi élaboré que celui de Tarrant. Crusius affirme clairement dans son manifeste qu’il s’est dépêché de rédiger le document et de mener l’attaque, de peur de perdre son sang-froid. Tarrant par contre a planifié son acte et rédigé son manifeste sur une période de près de deux ans. Évidemment, et tel qu’il est écrit dans son manifeste «le grand remplacement», Tarrant souligne que son attaque était planifiée, de telle sorte qu’elle lui donnait assez de temps pour se préparer, élaborer un concept, régler ses affaires et expliquer son idéologie, car, il avait l’intention de mourir au cours de l’attaque.
Crusius et Earnest sont également différents de Tarrant en ceci que tous sont des suprémacistes blancs, mais seul Tarrant était conscient d’être un accélérationniste. Dans son manifeste, Tarrant explique de manière détaillée qu’il choisissait ses armes à feu en fonction de l’impact qu’elles auraient sur le discours social. Il savait que ces armes attireraient l’attention de plusieurs médias, et mèneraient à des soulèvements aux USA sur la restriction du deuxième amendement relatif au droit de posséder une arme, ce qui aurait suscité une contre-réaction chez les pro-armes et débouché sur une guerre civile. Earnest et Crusius étaient convaincus de travailler pour la bonne cause : l’un se battait pour protéger sa race du Mouvement d’occupation sioniste (ZOG), tandis que l’autre contrait l’invasion hispanique.
La dernière divergence est que Tarrant et Earnest avaient une approche plus globale et transnationaliste propre à l’alternative de droite (alt-Right), tandis que Crusius semblait davantage appartenir au nationalisme américain d’extrême droite.
Conclusions
Après la sortie du manifeste de Crusius, l’extrême droite a vite fait de considérer ce dernier comme un saint, aux côtés de figures répugnantes comme Earnest, Tarrant, Breivik entre autres. Des désaccords étaient palpables dans les fora de discussion et autres sites web d’extrême droite : tandis que certains fustigeaient Crusius pour avoir essayé de tuer des enfants, d’autres regrettaient le fait que des hommes, femmes et enfants blancs soient systématiquement tués, au même titre que les latinos. La plupart de ces désaccords étaient certes d’ordre tactique (méthodes employées, cibles), mais il existait une cohésion substantielle sur le besoin de mener une action violente le plus vite possible. Invoquant les saints de leur idéologie tout en faisant écho des actions menées par les trois derniers terroristes, les internautes de ces fora ont commencé à distribuer des kits de formation autodidacte sur des questions militaires et à réfléchir sur les prochaines méthodes et cibles.
La recrudescence du terrorisme d’extrême droite est visible. Quatre cas confirmés d’attaques de suprémacistes blancs ont été enregistrés en 2019 : Earnest et Crusius aux USA, Tarrant en Nouvelle-Zélande, et Stephan Enrst en Allemagne, responsable de la mort de Walter Lübcke, alors préfet du district de Kassel. Les partisans de cette doctrine observaient l’évolution de cette tendance et s’en réjouissaient.
Peut-être encore plus inquiétant est le fait que les attaques grandissantes participent à renforcer les idéologies d’extrême droite, notamment depuis les attaques perpétrées par Tarrant. L’impact des ignobles actes de Tarrant et de son manifeste aurait été sous-évalué, car dans la face cachée d’Internet, il continue d’inspirer de nouveaux disciples et de les inciter à l’action.
En ce moment, il est vrai qu’il existe plusieurs groupes d’extrême droite en Amérique et en Europe, mais nous perdons de vue la montée des organisations d’avant garde inspirées par l’extrême droite comme Al-Qaeda. Les rapports transnationaux entre les différentes factions d’extrême droite sont beaucoup moins dangereux et la principale menace terroriste reste «le loup solitaire». Combien de temps cette situation va-t-elle durer?