Annelies Pauwels
Introduction
Everything You Love Wil Burn, en français tout ce que vous aimez disparaîtra, est un ouvrage qui nous raconte la fascinante histoire de l’extrême droite aux États-Unis. Vegas Tenold essaye de décrire et d’expliquer la résurgence des groupes radicaux d’extrême droite dans le pays. Il le fait en parlant de son expérience personnelle notamment de ses rencontres avec des leaders et membres issus de groupes d’extrême droite les plus influents du pays.
Alors que les médias se focalisent généralement sur les mouvements d’extrême droite, Tenold s’attarde plutôt sur ces groupes qui se rassemblent dans les rues, à l’instar du Parti des Travailleurs Traditionalistes (PTT), le Ku Klux Klan (KKK), Le Mouvement National Socialiste (MNS), les Hammerskins, et Les Nations aryennes. Il a infiltré ces organisations de 2011 à août 2017, date du rassemblement d’extrême droite de Charlottesville. Le terroriste James Alex Fields Jr avait alors foncé sur une foule de contre-manifestants, faisant un mort et 28 blessés.
Une extrême droite fragmentée
Tenold met l’accent sur la renaissance des groupes d’extrême droite aux USA. Il nous parle d’un mouvement extrêmement divisé, désorganisé, dépourvu de stratégie et parfois dépassé. Ses entretiens avec les leaders des principaux groupes d’extrême droite aux USA permettent au lecteur d’être au fait des principaux défis auxquelles ces organisations sont confrontées :
Le premier problème est celui du nombre sans cesse décroissant d’adhérents qui représentait à la fois un luxe et un élément de crainte. Le KKK illustre à suffisance ce phénomène. Au cours des années 1920, le KKK connaissait son apogée. C’était une organisation constituée de plus de cinq millions de membres, parmi lesquels des sénateurs et des gouverneurs. La loi ne réprimait jamais leurs actes, soit parce qu’elle partageait son idéologie, soit à cause de l’inertie des autorités judiciaires. Le KKK pouvait également exercer une influence considérable sur les populations, et ce sans passer par la violence, car, grâce à des décennies de violences, elle avait su faire régner la terreur au sein des communautés afro-américaines.
L’auteur décrit de manière fascinante certaines réunions du KKK auxquelles il prit part, réunions auxquelles une poignée de membres (âgés pour la plupart) seulement étaient conviés et qui ne se résumaient parfois qu’à une série de rituels vides. Il explique aussi comment les rassemblements « inutiles » du KKK se tiennent désormais « dans des coins reculés, très loin des populations », et que l’organisation ne se « résume plus qu’à une poignée de vieillards, davantage préoccupés par des chamailleries et des luttes intestines que par la protection de la race blanche ». Le déclin a un impact considérable sur la plupart de ces groupes d’extrême droite qui cravachent pour garder leurs membres dans les rangs, peinent à en recruter de nouveaux et sont anxieux chaque fois qu’ils organisent un évènement.
Le deuxième problème est celui de la fragmentation et des « accrochages interminables entre groupes ». Tenold nous explique comment l’extrême droite américaine est incapable de s’unir. Pendant ses recherches, il a rencontré plusieurs groupes incapables de s’allier contre un « ennemi commun », du fait de leurs divergences idéologiques.
Par exemple, le PTT essaye de promouvoir une image davantage modérée de l’extrême droite à travers sa forme de nationalisme post suprématiste d’antan, tandis que le MNS fait une fixette sur le symbolisme de l’Allemagne nazie. Le KKK et les Nations aryennes usent de violence, tel que le stipule l’idéologie suprématiste blanche. Par contre, les Hammerskins semblent plus intéressés par la violence que l’idéologie. Ces derniers en font même usage dans leurs propres rangs.
Les querelles intestines et le manque de confiance ont atteint une autre dimension chez les soi-disant « boots » et « suits » représentant les véritables activistes et les imposteurs respectivement.
Le troisième problème de l’extrême droite est sa difficulté à faire partie des grands courants politiques. Tenold a passé beaucoup de temps auprès de Matthew Heimbach, le leader du PTT qui, comme beaucoup d’autres dans le mouvement admire la vague nationaliste européenne qui a facilité l’accession au pouvoir des gouvernements antilibéraux en Hongrie, en Slovaquie et ailleurs. Mais, l’extrême droite américaine semble incapable de nouer des relations avec l’extrême droite européenne. Elle a même été incapable de l’imiter en se frayant un chemin au sein de son espace politique.
L’auteur explique que la difficulté fondamentale est le radicalisme de l’extrême droite américaine. Ces Américains incarnent une doctrine plus qu’extrême. Autrement dit, ces groupes prônent ouvertement le racisme et la suprématie blanche au lieu de se cacher derrière des revendications identitaires. Ce qui amoindrit donc toute chance de vulgariser leur idéologie auprès des personnes « discriminées, mécontentes et laissées pour compte qui représentent pourtant l’audience de prédilection de la droite radicale ». Leur radicalisme s’étend également sur le plan tactique. Tenold nous raconte une dispute entre deux membres du KKK qui n’arrivent pas à s’entendre au sujet de l’organisation d’une soupe populaire en vue de se lier d’amitié avec les populations locales. « La peur est ce qui fait la force du KKK » dit-il « et personne ne les craindra plus s’ils organisent une soupe populaire ». Gagner les cœurs des laissés pour compte n’a clairement pas de place dans la stratégie de l’extrême droite américaine.
Causes fondamentales du radicalisme de droite
Au cours de ses conversations avec les membres des groupes d’extrême droite, Vegas Tenold a pu comprendre les raisons de leur adhésion au mouvement extrémiste.
Le chômage et la pauvreté sont les principales causes, notamment dans les régions qui ont vu la délocalisation des entreprises ou la fermeture des mines de charbon. C’est le cas d’Appalachia et Rust Belt par exemple. L’auteur a rencontré des membres de ces localités qui se sentent abandonnés par l’élite riche, issue des zones côtières américaines. Cette élite estime que « ces localités mal construites d’Amérique ne sont qu’un inconvénient et rien d’autre ».
Ainsi, le stéréotype du pauvre et de l’ignorant qui regagne l’extrême droite n’est que la partie visible de l’iceberg. Tenold a également rencontré des personnes aisées qui après moult réflexions, ont décidé de rallier l’extrême droite.
Nombreux sont ceux-là qu’il a rencontrés, et qui ont retrouvé un sens de l’appartenance au sein de ces groupes extrémistes. Le chef d’une branche du KKK et ex-drogué a affirmé que « Jésus et le KKK l’ont racheté ».
Nombreux sont aussi ceux-là qui voyaient en l’extrême droite une source de reconnaissance et d’émancipation. Tenold décrit Heimbach, le leader du PTT comme « un gros poisson dans un minuscule étang, » ce qui expliquerait son rejet du nationalisme traditionnel.
L’une des choses que les groupes d’extrême droite assurent à leurs adhérents est la clarté, souvent sous forme de théorie du complot, ce qui simplifie la vie dans un monde davantage complexe. L’aliénation et la dislocation causée par notre modernité, la colère de certains par rapport à comment les choses sont gérées, et le sentiment d’être des laissés pour compte participent à nourrir le discours de la victimisation. Tous ces éléments permettent à l’extrême droite de se représenter en face de l’ennemie qui a toujours voulu leur échec, celui des Américains de race blanche.
Nous nous situons dans un contexte où une manifestation pour l’égalité raciale en Amérique est perçue comme une provocation à l’endroit des blancs. Tenold sous-tend qu’« ils avaient besoin de savoir que quelqu’un les déteste et souhaite leur mort, car le contraire aurait été difficile à accepter, c’est-à-dire un monde où ils ne seraient d’aucune utilité. »
Le sort de l’extrême droite américaine est intimement lié au développement national et dans une certaine mesure, internationale, politique et sociale. Cela s’illustre par le pouvoir du KKK fondé en 1865 par Nathan Bedford Forrest, où le contexte a favorisé la guérilla pendant laquelle de nombreuses personnes devaient être choisies pour empêcher la guerre civile qui permit aux esclaves libres d’avoir une égalité juridique. Après une cuisante défaite, le KKK retourne à l’époque des guerres intestines. Cela s’explique probablement par la montée de l’antisémitisme. Au cours des années 1960, l’organisation se place ainsi aux avant-gardes du non-respect des droits civiques.
Les entretiens de Tenold nous font comprendre que de telles situations existent encore aujourd’hui. Les membres d’extrême droite avec qui il s’est entretenu pendant la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016 se sentaient enhardis, et la victoire de Trump était perçue comme celle du nationalisme blanc, bien que les opinions divergeaient concernant Trump lui-même. Une fois que leurs doutes concernant Trump furent acceptés, l’extrême droite se voyait déjà dans une « position historique pour faire sortir le nationalisme américain de la pénombre. »
Conclusion
Dans son ouvrage, Vegas Tenold fournit une excellente vue d’ensemble du mouvement d’extrême droite en Amérique. Il décrit des scènes remarquables qu’il a lui-même vécues en tant qu’espion. C’est par exemple le cas du conflit entre le groupe ANTIFA d’extrême gauche et des Néo Nazis lors d’un rassemblement du MNS ; de la célébration des funérailles et des mariages au sein du KKK ; de la cérémonie à huis clos du quarantième anniversaire du MNS ; du rassemblement annuel Hammerfest et de la présence du PTT à la cérémonie d’investiture de Trump.
L’une des sensations les plus réjouissantes qu’éprouve le lecteur est l’incapacité de ces mouvements à s’unir, s’organiser et s’adapter à la modernité, autant d’éléments capables de les rendre attractifs et importants. Le mouvement a certes connu du succès en ligne, mais il manque encore de leaders capables de mobiliser un grand nombre de personnes dans la vie réelle.
Bien qu’ils soient petits et fragmentés, les groupes américains d’extrême droite demeurent dangereux, tel que le démontrent les statistiques, avec l’augmentation des crimes de haine. L’extrême droite américaine se radicalise de plus en plus, et Tenold l’explique à suffisance dans son ouvrage. Il a été témoin de la déshumanisation de ces leaders d’extrême droite lorsqu’ils ont tué Heather Heyer à Charlottesville.
Everything You Love Wil Burn nous raconte l’évolution de l’extrême droite aux USA et dépeint un mouvement qui, malgré ses multiples échecs et son faible taux de « réussite », continue d’exister et ne sait-on jamais, continuera de se développer.