Nima Khorrami

La stratégie suédoise de lutte contre la radicalisation et de déradicalisation s’appuie sur les tentatives passées visant à s’attaquer aux mouvements d’extrême droite et d’extrême gauche, en partant du principe que l’extrémisme facilite et conduit souvent à des actes violents à motivation politique. Le radicalisme, à son tour, est supposé être causé par la ségrégation socio-économique, la pauvreté, le manque d’intégration, l’instabilité du milieu familial et les pratiques discriminatoires ou racistes de la population autochtone, ces facteurs se produisant sous diverses combinaisons, s’entrecroisant et se nourrissant les uns des autres pour créer une détresse existentielle. De plus, ses objectifs – prévenir, anticiper, et protéger sont poursuivis sur trois niveaux interconnectés et coordonnés au niveau central – local, régional et national – par un vaste groupe d’institutions, d’acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux, y compris la police et les services de renseignement, les enseignants et éducateurs, les volontaires et/ou activistes communautaires, et des organisations de la société civile. Enfin, l’ensemble de la stratégie s’articule autour de trois axes : la coopération criminologique, pédagogique et intranordique.
Comme ses homologues nordiques et d’autres pays européens, la Suède a introduit une série de nouvelles politiques et mesures visant à prévenir l’extrémisme violent (PVE) depuis le milieu des années 2000. Compte tenu de sa longue expérience en matière de prévention efficace du crime, qui se manifeste par l’un des taux d’homicides les plus faibles au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la prévention de l’extrémisme violent en Suède s’inspire largement de l’expérience et de l’expertise du pays en matière de prévention du crime violent, bien que le gouvernement traite officiellement les cadres pour la criminalité et l’extrémisme violent de façon séparée. Cela est dû au fait qu’il existe d’importants chevauchements entre la criminalité et l’extrémisme et que les ministères et organismes concernés peuvent à la fois rationaliser leur travail et acquérir une compréhension plus complète des causes sous-jacentes et des catalyseurs de l’extrémisme en étudiant la courroie de transition entre les deux.
Outre le lien bien connu entre l’extrémisme et incarcération, les spécialistes et les analystes en Suède considèrent généralement les personnes ayant un passé criminel comme plus enclines aux actes d’extrémisme violent d’inspiration religieuse comme une forme de rédemption de leurs péchés passés. La coopération tactique entre les syndicats du crime et les groupes extrémistes pour des raisons financières est également une autre justification fréquemment mentionnée pour fusionner les cadres de la prévention du crime et de la prévention de l’extrémisme violent à des fins opérationnelles, sinon administratives. Il convient toutefois de noter que le rôle des prisons et le lien entre le milieu du crime et l’extrémisme violent sont moins mis en avant dans la prévention de l’extrémisme violent en Suède par rapport aux quatre autres États nordiques, en particulier le Danemark.
Sous l’autorité et le commandement du Ministère de la Justice, le Centre national de lutte contre l’extrémisme violent (NC) est chargé d’assurer la coopération entre les acteurs locaux, régionaux et nationaux concernés en élaborant des stratégies cohérentes qui doivent ensuite être mises en œuvre par les municipalités au niveau local et les conseils municipaux ou de comté au niveau régional. Dans la pratique, cependant, le degré d’autonomie des municipalités et des comtés varie en fonction de la taille de leur population radicalisée. Par exemple, le conseil municipal de Göteborg ou la municipalité d’Orebro bénéficient de plus d’autonomie et des budgets plus importants pour lancer leurs propres programmes (ou modifier les initiatives lancées au niveau central) en raison du fait qu’elles abritent un nombre assez considérable de résidents radicalisés. En règle générale, toutefois, les conseils administratifs des comtés sont chargés de coordonner la prévention de la criminalité au niveau local entre les municipalités et la police au niveau régional.
En outre, des relations de travail étroites ont été établies entre divers organismes gouvernementaux et ministères et leurs homologues d’autres pays nordiques qui, bien qu’à des degrés différents, ont été aux prises avec des problèmes similaires et offrent donc des expériences et des perspectives dont la Suède peut tirer des enseignements. La réaction suite à l’attentat terroriste de 2017 à Stockholm en est un exemple probant: la Suède semble avoir suivi l’exemple du Danemark en adoptant des mesures plus sévères qui pénalisent à la fois le soutien aux organisations terroristes et les voyages dans les pays où il est connu que ces groupes ont une forte présence. De plus, des mesures strictes concernant le droit à un nouveau passeport ont été introduites, ainsi que des contrôles accrus sur les personnes considérées comme une menace potentielle.
Mais plus importante encore, est l’intensification des interactions ministérielles sur une base bilatérale et multilatérale qui ont eu lieu au cours des deux dernières années. Cela a permis de discuter plus régulièrement des décisions politiques clés liées à la lutte contre le terrorisme et à la déradicalisation et de les coordonner avec un meilleur accès à l’information aux plus hauts niveaux du gouvernement. Sur le plan multilatéral, la coopération institutionnelle fait l’objet d’une attention renouvelée au sein du Conseil nordique, bien qu’elle n’en soit encore qu’à ses débuts et que les progrès aient été, d’une manière typiquement scandinave, péniblement lents. Le Nordic Network for Prevention of Extremism (Réseau nordique pour la prévention de l’extrémisme) qui a été créé en 2015, et le rassemblement annuel des Nordic Safe Cities (villes nordiques sûres) sont tous deux des rappels de cette tendance.
La base de la stratégie suédoise réside dans ses éléments pédagogiques, qui reposent sur les écoles publiques et les organisations de la société civile comme Fryshuset. Une fois de plus, les programmes sont fixés, coordonnés et suivis de manière centralisée par l’intermédiaire du Centrenational, qui délègue les tâches de mise en œuvre et de supervision aux municipalités et aux comtés.
Du côté de l’État, l’outil conçu par le Centre national, appelé la Boussole de conversation (CC), est d’une importance capitale. Il s’agit essentiellement d’un guide à l’intention des enseignants, des travailleurs sociaux et des délégués à la jeunesse sur les signes probables de radicalisation et la manière de procéder lorsque ces signes sont observés.
Le CC est composé de trois chapitres dont le premier indique trois niveaux de travail préventif, intitulés «prévention générale», «prévention spécifique» et «prévention individuelle», chacun correspondant à un niveau d’urgence supposé.
Le deuxième chapitre fournit des conseils sur la façon de mener des interventions en engageant un dialogue avec les personnes à risque de radicalisation, comme indiqué dans le premier chapitre. L’objectif est de bâtir une relation de confiance qui peut à son tour catalyser un processus de changement positif.
Le troisième et dernier chapitre décrit la préparation nécessaire pour mener une conversation de confiance — à savoir les caractéristiques de l’environnement, etc. Un exemple serait la précision selon laquelle les parties doivent être assises au même niveau, de sorte qu’elles se regardent dans les yeux, et pourquoi cela est important. De même, il fournit des conseils sur la façon d’être un «auditeur actif» et de maintenir le flux de la conversation tout en transmettant simultanément les sentiments d’attention et d’empathie. La question de savoir si cette conversation doit avoir lieu sur une base volontaire ou si elle doit être obligatoire pour les suspects est quant à elle plus ambiguë.
Les organisations de la société civile travaillent en étroite collaboration avec le gouvernement et le Centre national pour mettre en œuvre un certain nombre de programmes et d’initiatives dont l’objectif est de compléter les efforts de l’État visant à éduquer les communautés religieuses importées aux valeurs suédoises et à offrir un moyen viable de désengagement pour ceux qui sont tombés dans le radicalisme. L’exemple classique est celui du programme EXIT, de Fryshuset, qui s’appuie sur le succès de son travail avec les partisans d’extrême droite.
Les personnes qui rejoignent EXIT se voient assigner une personne de contact qui est à leur disposition 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, tandis que leurs familles reçoivent un soutien et des conseils continus sur la manière de faciliter la réinsertion de leurs proches radicalisés dans la société. De plus, les membres sont mis en contact et encadrés par des travailleurs sociaux, professionnels et, surtout, par de véritables transfuges — des personnes qui ont réussi à quitter les mouvements extrémistes, qui peuvent partager leur expérience et fournir des astuces sur la façon d’éviter la tentation de revenir à leurs vieilles habitudes.
Fryhuset se réserve le droit de ne partager ni d’enregistrer aucune information sur les personnes avec qui elle travaille et leurs activités passées auprès des autorités. Il y a certes là un risque moral évident, mais une telle pratique est aussi potentiellement utile pour assurer le désengagement de certains extrémistes qui, autrement, resteraient au sein du mouvement pour éviter des représailles légales.