Pendant trois jours, du 8 au 10 octobre 2019, 180 éminents chercheurs et universitaires se sont réunis à la sixième Conférence internationale de recherche sur la lutte contre l’extrémisme violent (CVE), organisée par Hedaya, le centre international d’excellence pour la lutte contre l’extrémisme violent, en collaboration avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et la Deakin University en Australie. Quelque 45 articles ont été abordés et diverses idées ont été présentées par d’éminents experts du monde entier dans ce domaine. La conférence s’est appuyée sur les règles de la Chatham House, ce qui signifie que le contenu et les idées discutées peuvent être divulgués, mais ne peuvent être attribués, afin de protéger la liberté universitaire.
Les documents débattus lors de la conférence étaient divers. L’un des principaux objectifs était de découvrir les développements les plus importants qui touchent directement ou indirectement à l’extrémisme violent, notamment les progrès dans le domaine des communications et des technologies de la communication, que les groupes extrémistes utilisent pour recruter ainsi que pour diriger leurs activités. La conférence visait également à discuter de certaines études de cas spécifiques à des pays, ainsi que des programmes mis en œuvre par des organisations internationales en rapport avec la lutte contre l’extrémisme violent.
Le phénomène de l’extrémisme violent comporte de multiples facettes et se manifeste dans diverses idéologies, d’où la nécessité permanente d’études et de recherches sur les nouvelles tendances. Certaines de ces questions ont été abordées lors de la conférence, notamment l’analyse de l’extrémisme violent, les divers discours présentés par les groupes extrémistes, les discours haineux qu’ils peuvent utiliser, les techniques extrémistes et de recrutement utilisées par les groupes extrémistes violents, l’efficacité de la confrontation et des mesures préventives pour les contrer, les programmes de réhabilitation et de réintégration pour d’anciens extrémistes.
Les participants à la conférence ont pris note de la manière dont ces questions se recoupent avec d’autres questions, telles que le rôle du genre dans l’extrémisme violent, les questions d’autonomisation des jeunes et des femmes et le rôle joué par les différentes formes d’extrémisme pour se nourrir mutuellement.
La Conférence a également été l’occasion de s’efforcer de répondre à ces défis persistants.
Études de cas
Bien que les détails ne soient peut-être pas tout à fait nouveaux, de nouveaux angles d’analyse et de nouvelles idées ont été exprimés au sujet de plusieurs études de cas et expériences qui ont eu lieu sur le terrain, ce qui a ajouté de la valeur aux présentations faites à cette conférence. Des pays et des régions comme le Bangladesh, les Balkans occidentaux et l’Afrique de l’Est sont devenus des exemples de régions touchées par des vagues d’extrémisme violent.
Un aspect crucial pour les pays des Balkans occidentaux, qui comprennent la Serbie, le Kosovo, la Macédoine et l’Albanie, est la nécessité de les étudier à partir de sources locales dans leur propre langue. En effet, l’étude de ces exemples en anglais ou en français entraînera d’énormes lacunes en matière de connaissances.
Le Nigeria constitue un cas très complexe dans ce contexte: on y retrouve Boko Haram, des combattants de l’État islamique, et des rapatriés de l’État islamique. Cette situation soulève de nombreuses questions, d’autant plus que ce pays n’a pas reçu l’attention qu’il méritait, même lorsque les femmes et les enfants y sont devenus les piliers de l’extrémisme. L’un des documents a abordé, et passé en revue l’expérience des programmes de réhabilitation au Nigeria, traitant des personnes qui veulent renoncer à l’extrémisme. Il a été constaté que les femmes sont fortement présentes dans ces programmes, beaucoup d’entre elles étant d’anciennes épouses de combattants de l’État islamique qui ont quitté les zones de conflit.
La Suisse est considérée comme un cas unique. Bien qu’elle n’ait pas été frappée par le terrorisme sur son territoire, la Suisse a pris des mesures proactives et adopté une stratégie intégrée de lutte contre l’extrémisme violent, qui repose sur la coopération entre les différentes institutions du pays et est appuyée par les recherches des universités et des groupes de réflexion. Le gouvernement a aidé ces organismes en leur fournissant des données et des renseignements, ce qui a permis à ces chercheurs d’effectuer l’analyse du problème la mieux intégrée et la plus axée sur les données.
Le cas de la Thaïlande est également important. L’extrémisme dans cette société peut être attribué principalement à la lutte pour les ressources et leur répartition entre une majorité bouddhiste et une minorité musulmane qui a pratiqué un extrémisme violent contre les temples bouddhistes. L’absence d’une répartition équitable des ressources entre les villes thaïlandaises et les campagnes contribue à créer des foyers d’extrémisme.
Caractère unique
Un autre thème qui peut être tiré de la conférence est l’idée du «caractère unique», ce qui signifie que chaque cas a ses propres facteurs que les autres ne partagent pas. Il s’agit là d’une prémisse très importante. La pensée locale sur le problème de l’extrémisme est importante et ne doit pas être négligée, car les différents contextes entourant chaque phénomène déterminent les solutions les plus appropriées (solutions tolérées). Même lorsque des programmes communs sont adoptés, leur application varie selon les circonstances locales.
Financement externe
L’un des problèmes les plus épineux de la lutte contre l’extrémisme est le financement de programmes mis en œuvre par des institutions et organisations extérieures dans des pays où sévit l’extrémisme violent. L’examen d’un certain nombre de cas a montré que certains programmes financés de l’extérieur se heurtent à diverses difficultés, notamment une connaissance limitée de la société dans laquelle ils interviennent, ce qui signifie que leur impact est faible. Un autre défi est la durabilité du financement, car certains programmes peuvent être de courte durée et ne pas donner les résultats escomptés. La principale recommandation à cet égard est la nécessité pour les programmes de financement externe d’atteindre les partenaires locaux qui peuvent travailler à créer des sources locales de financement. Certains programmes sont également confrontés au problème de la corruption dans les communautés auxquelles ils tentent d’accéder, comme au Pakistan et dans certains pays africains, ce qui signifie qu’une grande partie des fonds destinés aux programmes de réhabilitation ne sont pas dépensés pour la ou les cibles visées.
Technologie
Les médias sociaux semblent avoir été un refuge sûr pour les groupes extrémistes violents. Même s’ils ont d’abord été utilisés par des groupes extrémistes islamiques, qui se sont appuyés sur Telegram, les extrémistes de droite blancs, en particulier dans les pays anglophones, ont bénéficié de l’expérience des islamistes. Le contenu extrémiste sur les médias sociaux et sur Internet, y compris les réseaux obscurs et confidentiels, demeure un facteur de menace important.
Résilience
Certains programmes contribuent à accroître la résilience des collectivités face à l’extrémisme, au terrorisme et à l’extrémisme violent. Les programmes éducatifs jouent un rôle important à cet égard. Certaines expériences, comme celle du Pakistan, montrent le rôle important que les femmes peuvent jouer dans les efforts locaux de sensibilisation. L’expérience d’un pays comme le Kirghizistan montre aussi le rôle prépondérant des femmes dans un groupe différent, le ‘prédicateur’, qui a une grande influence dans sa société, et comment les militants qui ont participé à des programmes de formation pour combattre l’extrémisme intellectuel ont contribué positivement à éduquer de larges pans de leurs communautés et à les aider à rejeter les idées extrêmes.
Le cas de la Nouvelle-Zélande est l’un des cas importants dans le contexte de la résilience des communautés confrontées à de graves traumatismes, à savoir l’attaque de la mosquée de Christchurch, la première attaque du genre dans le pays. Seuls deux documents ont traité de ces questions. Toutefois l’efficacité, la souplesse et la compétence des institutions gouvernementales et non gouvernementales comme les médias ont permis à la Nouvelle-Zélande de réagir d’une manière qui a considérablement réduit les effets négatifs de l’incident. En effet, le gouvernement a réussi à faire adopter un projet de loi sur l’embargo sur les armes, à mettre sur pied un comité chargé d’examiner la question en profondeur et à criminaliser le discours haineux en une semaine.
Éthique
L’engagement éthique sur les questions d’extrémisme violent peut sembler abstrait, mais il a une incidence directe sur la lutte quotidienne contre l’extrémisme violent. Cela a été souligné à la conférence. Les questions suivantes ont été posées: L’éthique de la recherche scientifique en sciences sociales diffère-t-elle de celle de l’extrémisme violent? Existe-t-il d’autres systèmes ou valeurs éthiques nécessaires pour travailler dans ce domaine? Comment devrions-nous agir face aux communautés qui ont été traumatisées par le terrorisme? La communication avec une société visée par le terrorisme est-elle éthique si chaque question risque de rappeler des souvenirs douloureux? Le financement externe a-t-il une incidence sur l’éthique de la recherche dans ce domaine? Peut-elle avoir un effet de compression dans une direction particulière? Et enfin, le chercheur a-t-il le droit de partager les données privées obtenues auprès d’extrémistes avec, par exemple, des organismes publics?
La nécessité d’un contrôle conceptuel de la terminologie utilisée a également été évoquée, car il subsiste des divergences de vues sur la signification de concepts fondamentaux tels que l’«extrémisme violent» et un «acte terroriste».
Conclusion
La conférence était très importante et les sujets soulevés nécessitaient une étude sérieuse. Les expériences et les approches des présentateurs ont mis en lumière tous les aspects du phénomène de l’extrémisme violent et offrent un moyen de créer des programmes plus complets et plus sophistiqués pour y faire face.