Nicolas Henin
Le président français Emmanuel Macron a présenté vendredi 2 octobre son plan très attendu de lutte contre le “séparatisme”, dans un contexte compliqué par la reprise de la pandémie de coronavirus et une actualité chargée en matière de radicalisation, le procès des attentats de janvier 2015 qui se déroule en même temps a donné lieu à quelques très beaux moments de justice a aussi rouvert quelques clivages dans l’opinion. Il a aussi été marqué par un attentat contre les anciens locaux de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo. Parmi les sujets qui restaient en suspens jusqu’au dernier moment : l’usage ou pluriel ou du singulier. Le singulier signifierait que ce plan, qui doit conduire à une loi, vise le seul extrémisme musulman, le pluriel désignant l’ensemble des courant qui délitent la société ou sont susceptibles de la fracturer.
Emmanuel Macron a commencé son discours par un rappel très approprié de la définition de la laïcité française, définie par une loi de 1905 et qui continue de faire l’objet de malentendus, surtout à l’étranger où l’on a facilement tendance à voir la France comme un pays promouvant l’athéisme, à l’image des anciennes républiques soviétiques. “La laïcité en République française, c’est la liberté de croire ou de ne pas croire, la possibilité d’exercer son culte à partir du moment où l’ordre public est assuré. La laïcité, c’est la neutralité de l’État et en aucun cas l’effacement des religions dans la société dans l’espace public. La laïcité, c’est le ciment de la France unie. Si la spiritualité relève du domaine de chacun, la laïcité est notre affaire à tous.”
Le président français a ensuite semblé trancher le débat sur le pluriel du séparatisme, en énonçant : “ce à quoi nous devons nous attaquer, c’est le séparatisme islamiste”, une expression qui a ponctué son discours. Sauf que, dès les jours suivants, plusieurs ministres invités dans des médias ont rappelé l’importance de prendre en compte les autres idéologies menant à la violence, notamment le suprémacisme, le ministre de l’Intérieur utilisant sur son compte Twitter alternativement le singulier et le pluriel.
Pour Emmanuel Macron, ce séparatisme islamique qu’il présente comme une déviance de l’islam est “un projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-société et dont les manifestations sont la déscolarisation des enfants, le développement de pratiques sportives, culturelles, communautarisées qui sont le prétexte pour l’enseignement de principes qui ne sont pas conformes aux lois de la République.”
Les chercheurs en radicalisation connaissent bien les dilemmes qui se posent, pour un État de droit, dans la prise en compte de ce qui est qualifié de “radicalisation non violente”. Quand bien même le sentiment que les extrémistes sont néfastes pour une société est assez partagé, la définition de qui est extrémiste est beaucoup plus disputée et surtout, une démocratie libérale, au nom de la liberté de conscience et de liberté de culte, n’a pas vocation à interdire l’extrémisme, ni à faire de chacun de ses ressortissants des centristes modérés.
Le concept de “tapis roulant” conduisant de l’extrémisme idéologique à la violence terroriste est sans doute l’un des sujets les plus brûlants des recherches en radicalisation.
Afin de sortir de cet écueil, Emmanuel Macron insiste sur un facteur permettant de définir le “séparatisme”: le non-respect de la loi. Reste à distinguer quelles violations de la loi caractérisent les “séparatistes” et permettront de les réprimer.
Le projet de loi en cours d’élaboration prévoit d’agir dans plusieurs domaines. Dans celui de l’éducation, par exemple, la possibilité d’école à la maison (pourtant garantie par la loi historique sur l’enseignement obligatoire) sera strictement limitée aux raisons impératives, notamment médicales. Plusieurs observateurs font pourtant remarquer que l’enseignement privé hors contrat (peu contrôlé par l’État, malgré une loi récente) est sans doute un problème plus prégnant d’embrigadement que la déscolarisation. Une autre mesure est la suppression des imams détachés, envoyés par des pays musulmans afin d’enseigner en France. Si cette mesure a un intérêt certain en matière de contre-ingérence, elle présente un intérêt mineur en matière de sécurité : bien peu de terroristes djihadistes formés en France sont passés par des mosquées de cet islam consulaire, qui pose bien davantage des problèmes d’importation de conflits locaux que de promotion de l’extrémisme.
Une autre ambition d’Emmanuel Macron est d’éviter que des “putsch” soient possibles dans des mosquées, qui permettent à une minorité d’extrémistes d’en prendre le contrôle. Si l’amélioration de la gouvernance des lieux de culte est louable, et possible par la loi, il s’agit d’un exercice à double tranchant : que fera l’État si les partisans d’une idéologie considérée comme extrémiste devenaient majoritaires et souhaitaient exercer le pouvoir qui leur revient ? Il serait délicat de soutenir un “putsch” mené par ceux que l’on considèrerait “modérés”… Par ailleurs, que les institutions distinguent ce qui est un “bon islam” d’un islam radical ou dévoyé risque par ailleurs de contredire le principe de laïcité et de non-interférence de l’État dans le contenu d’un dogme religieux.
Par ailleurs, les associations (clubs sportifs, organisations culturelles, etc.) devront signer une charte les engageant à respecter certains principes, comme la laïcité ou l’égalité des genres. Le non-respect de cette charte les priverait de toute subvention publique. Sauf que l’expérience a montré que les capacités de lever des fonds de plusieurs idéologies extrémistes les rendent assez peu sensibles à la crainte d’être privés de fonds publics.
Emmanuel Macron, présentant son projet, a évité quelques écueils, suggérant que la meilleure protection contre la radicalisation demeure la cohésion nationale, la présence partout d’un État qui garantit les droits de chacun et s’assure de l’égalité de tous. Mais ce discours, dont il annonce qu’il est le résultat de trois années de réflexion, a été reçu par une opinion publique déjà déchirée. Les musulmans en France, montrent les sondages, sont dans leur immense majorité loyaux à leur pays. Mais ils n’en peuvent plus d’être exposés, notamment sur les chaînes d’information en continu ou sur les réseaux sociaux, à une stigmatisation et à être vus comme des menaces. Quelles que soient leurs opinions ou leur pratique religieuse, ils aspirent à être considérés comme des citoyens comme les autres, avec toute leur diversité. Dans le contexte à fleur de peau que connaît la France d’aujourd’hui, chaque prise de parole politique, même bien intentionnée, semble condamnée à rouvrir des clivages et radicaliser les débats et des pans de l’opinion. Peut-être peut-on y voir un résultat de la vague d’attentats terroristes que la France a connu et qui a profondément marqué les perceptions.
European Eye on Radicalization vise à publier une diversité de points de vue et, en tant que tel, n’approuve pas les opinions exprimées par les contributeurs. Les opinions exprimées dans cet article ne représentent que l’auteur.