Dr. Eoin Lenihan
En octobre de cette année, Cem Özdemir et Claudia Roth, membres des Verts ont reçu des menaces de mort très précises et crédibles. Elles provenaient d’une nouvelle branche allemande de la «division Atomwaffen» (abrégée AWD), une organisation terroriste d’extrême droite basée aux États-Unis. Le groupe existe aux États-Unis depuis 2015 et connait aujourd’hui fort en déclin en raison de conflits internes, d’arrestations très médiatisées et de cinq meurtres attribués au groupe. Toutefois, ceux qui s’identifient encore comme membres de ce groupe — on estime au total environ 80 à 100 membres — constituent une menace directe de terrorisme.
La naissance et l’évolution de la division Atomwaffen
La division Atomwaffen est née des forums de discussion en ligne néonazis et a ensuite migré vers l’Allemagne via les médias sociaux. Lors d’une conférence à la Konrad Adenauer Stiftung en octobre 2018, j’ai souligné que les extrémistes basés aux États-Unis sont désormais à même de recruter et d’exploiter les griefs des personnes marginalisées et d’extrême droite grâce aux médias sociaux. L’Anti-Defamation League (la Ligue anti-diffamation), basée aux États-Unis, a par la suite souligné ce risque. La Ligue a pour rôle d’avertir sur la façon dont les groupes extrémistes se forment en ligne via les médias sociaux et la manière dont ils peuvent s’organiser et commettre des actes de terreur qui transcendent les frontières.
Le 12 octobre 2015, un fil de discussion est téléversé sur un forum du site web d’extrême droite ironmarch.org, aujourd’hui supprimé. Sur le forum en question, Brandon Russell, fondateur présumé de la division Atomwaffen, définit le groupe en ces termes: «Nous sommes une bande de camarades très fanatiques et idéologiques qui font à la fois de l’activisme et de l’entraînement de nos militants.» Bien que le groupe ait été créé en ligne, Russell a mis l’emphase sur le fait que la division Atomwaffen n’est pas juste une autre communauté d’extrême droite virtuelle qui répand la haine; «…nous faisons de la sensibilisation dans le monde réel par des moyens non conventionnels. [La guerre presse-bouton n’a rien à voir avec ce que nous sommes.]»
Dès le début, leur groupe s’est distingué des groupes en ligne néonazis ordinaires en se rassurant de joindre l’acte à leur rhétorique violente. La division Atomwaffen a organisé des camps d’entraînement dans tout le territoire américain, baptisés «camps de la haine», dans lesquels ils pratiquaient l’entraînement au maniement des armes à feu, faisant passer ainsi le groupe du statut de phénomène banal virtuel à celui de cellules terroristes entraînées et anonymes. Il s’agissait de préparer les membres à une guerre raciale perçue comme imminente.
De plus, ils ont tenté de véhiculer une idéologie unique et cohérente. Le groupe a recherché la participation de James Mason, un adepte du néonazisme depuis toujours et membre du Parti nazi américain de George Lincoln Rockwell. L’affiliation de Mason a donné au groupe non seulement un sentiment de légitimité, mais aussi une possibilité de relève au sein des cercles néonazis. Siege, un recueil d’écrits de Mason devait être lu pour tous les membres du groupe et Mason, qui, dans le livre, appelle les gens à commettre des actes de terreur au sein de petites cellules ou à perpétrer des attentats solitaires, agit en qualité de conseiller du groupe.
La genèse et la fin de la division Atomwaffen
L’impact initial du groupe et sa montée en puissance à l’échelle nationale ont été spectaculaires. Le 19 mai 2017, Devon Arthurs, membre de la division Atomwaffen, a abattu ses deux colocataires. Tous trois étaient membres de la division, mais la récente conversion d’Arthur à l’islam aurait été ridiculisée par les deux victimes et serait à l’origine de l’altercation. Brandon Russell, fondateur présumé de l’AWD, qui vivait également avec les trois hommes, a été condamné à cinq ans de prison pour possession de matériel servant à la fabrication des explosifs. En décembre, un autre membre de l’AWD a été accusé du meurtre des parents de son ex-petite amie après qu’ils eurent convaincu cette dernière de mettre un terme à cette relation en raison de ses convictions extrémistes. L’auteur — un mineur —a tenté de se donner la mort, mais son suicide a raté. Le 2 janvier 2018, Sam Woodward, un autre membre de la division Atomwaffen a assassiné et caché le corps d’un Juif homosexuel, Blaze Bernstein, étudiant à l’Université de Pennsylvanie.
Ces cinq meurtres ont fait du démantèlement du groupe une priorité pour le FBI et les arrestations subséquentes de membres présumés de l’AWD accusés de détention d’armes à feu et de terrorisme ont considérablement limité leurs activités dans le monde réel. Cependant, la baisse de la popularité en ligne du groupe est cause de son affiliation à l’Ordre des Neuf Angles, un culte satanique aux origines néonazies. Cette affiliation a provoqué des conflits au sein du groupe, car certains membres étaient des chrétiens pieux, tandis que d’autres voulaient simplement partager les idéologies néonazies. D’autres personnes de l’extrême droite ont tourné cette affiliation en dérision à cause de ses liens avec le satanisme. Au milieu de l’année 2018, la division Atomwaffen était largement considérée comme une force épuisée.
Paul Nehlen et GAB
L’effondrement de la division Atomwaffen à la mi-2018 a coïncidé avec une série d’incidents tumultueux au sein de la communauté d’extrême droite en ligne. Paul Nehlen —candidat républicain au Congrès pour l’État du Wisconsin en 2016 et 2018 —a été rapidement adopté par l’extrême droite sur les médias sociaux et son évolution en tant que figure antisémite et suprémaciste blanc lui a valu des fans en marge des médias sociaux. Après avoir été banni de Twitter pour une série de tweets antisémites et racistes, Nehlen s’est tourné vers GAB où il s’est associé à un autre éminent suprémaciste blanc —Christopher Cantwell—mieux connu pour le rôle qu’il a joué lors de la manifestation «Unite the Right» à Charlottesville, en Virginie en août 2017. En avril 2018, Nehlen a vu ses comptes résiliés par GAB après qu’il a publié sur internet les informations personnelles de l’éminent troll « Ricky Vaughn » de l’alt-right. Vaughn, surtout connu pour ses mèmes qui ont aidé à catapulter le président américain Donald Trump au pouvoir, a critiqué Nehlen et Cantwell pour leurs croyances nationalistes blanches extrêmes sur «The Ricky Vaughn Cast». En représailles, ils l’ont dénoncé au Huffington Post. Cette situation a conduit Nehlen (et Cantwell peu de temps après) à être banni de GAB et à être rejeté par les membres plus modérés de l’alt-right.
Nehlen et les WigNats
Sur Telegram—la plate-forme prisée à l’heure actuelle par les groupes extrémistes violents —Nehlen a connu une popularité parmi plusieurs groupes qui, comme lui, rejettent une solution politique pour atteindre leurs objectifs. Nehlen (surnommé Oncle Paul par les partisans) a été adopté par WigNats, diminutif de « Wigger Nationalists », un titre ironique que les membres de ce groupe néonazi se sont donné. Les WigNatsa sont souvent ridiculisés et ostracisés par d’autres identitaires blancs comme les AmNats (nationalistes américains) qui souhaitent infiltrer le Parti républicain et atteindre leurs objectifs en s’engageant dans le processus démocratique. Ces identitaires blancs considèrent les WigNats comme trop extrêmes, car ils rejettent toute solution politique pour atteindre leurs objectifs et mettent la violence au premier plan pour traiter avec leurs groupes. Ils sont résumés par leur slogan souvent utilisé dans les médias sociaux « Fuck around and find out ».
Cantwell, Nehlen et Matt Parrott, cofondateur du Parti traditionnaliste des Travailleurs néo-nazi, qui a publié un « manifeste » sur les principes fondamentaux de l’idéologie WigNat, sont les figures de proue du mouvement WigNat. L’accent mis sur l’extrémisme violent, la vénération de tireurs de masse récents à l’instar de Dylan Roof et Robert Bowers (qu’ils appellent «Saints») et leur affinité avec The Turner Diaries. Par ailleurs, Siege ont fait des alliés naturels d’autres groupes extrémistes violents tels que la division Atomwaffen,et il existe des liens importants entre ces groupes et les autres.
Le Bowl Patrol
Un troisième groupe, connu sous le nom de « Bowl Patrol » – une référence à la coupe de cheveux de Dylan Roof- et dirigé par Vic McKey (pseudonyme) épouse également des croyances compatibles avec la division Atomwaffen. Dans les conversations du groupe Bowl Patrol qui ont fait l’objet d’une fuite sur le forum Telegram, il est clair que même si l’AWD et le Bowl Patrol agissent séparément, ces entités s’entraident dans les efforts de propagande. Ces deux groupes sont si compatibles sur le plan idéologique que Vic MacKey a recommandé la chaîne vidéo de propagande de l’AWD à tous les membres de Bowl Patrol pour des besoins de propagande.
Le Boogaloo Right
Les WigNats, les membres du Bowl Patrol et les restes fracturés de l’AWD sont souvent désignés par d’autres groupes de l’alt-right comme le «Boogaloo Right».
Les principes de base du « Boogaloo Right » sont les suivants :
- Haine fanatique des Juifs et des non-blancs, des personnes LGBTQ, de la pornographie et de la politique progressiste.
- Une culte aux tueurs de masse récents (appelés « saints ») tels que Dylan Roof, Robert Bowers et Brenton Tarrant, ainsi que pour d’autres terroristes longtemps admirés par les néonazis tels que Ted Kaczynski et Timothy McVeigh.
- Les croyances idéologiques reposent sur les idées des néonazis Mason et Rockwell. Les discussions via Telegram indiquent qu’il existe un fort recoupage entre ces trois groupes et le Mouvement national-socialiste américain et même une coordination entre ces groupes afin de promouvoir des actions antisémites et racistes telles qu’une nouvelle campagne « It’s OK to be White » à Halloween 2019. De même, des efforts sont déployés pour harceler Charlie Kirk de Turning Point USA aux prochains événements oratoires en raison de son appartenance ethnique juive, de sa position pro-Israël et des convictions conservatrices.
- Un encouragement mutuel à commettre des actes de violence solitaires. Bien que la plupart des membres de ces groupes soient peu susceptibles de commettre eux-mêmes des actes de violence solitaires, ils encouragent les autres à le faire. L’une des principales raisons du culte de ses « saints » (tueurs de masse solitaires) est d’inciter d’autres personnes à commettre des actes similaires en leur promettant d’être un héros ou d’être vénérés par la communauté après leur mort. Ces attaques visent à déclencher une guerre raciale ou un « Boogaloo».
- Préparatifs au «Boogaloo». L’accélérationnisme est l’ambition de précipiter le déclin de la société pour que le chaos, puis le fascisme, en naissent des cendres. Sur Telegram en particulier, les forums de discussions constituent un sombre écho de la haine et de la paranoïa. Certains membres rappellent constamment à tous les membres qu’une dernière guerre raciale est proche et que les Juifs en particulier n’ont d’autre choix que de se préparer à son inévitable déclenchement.
Se propager vers l’Allemagne
Dès sa création, le site Internet Iron March, à travers duquel la division Atomwaffen a vu le jour, a eu une présence internationale. Une fuite récente d’adresses IP et de courriers d’utilisateurs du site révèle que si la plupart des utilisateurs étaient originaires des États-Unis, il en existait un nombre considérable de membres au Royaume-Uni et dans l’Europe orientale. Il n’est pas surprenant qu’il y ait des utilisateurs de la division Atomwaffen dans ces régions et en 2018, la division Sonnenkrieg a été créée pour répondre aux besoins de ces régions. En juin 2018, l’AWD a créé sa première branche en Allemagne. Dans une vidéo téléchargée sur la chaîne appartenant à l’AWD sur BitChute intitulée « AWD Allemagne : Les couteaux sont déjà aiguisés! » (une traduction), le groupe a mis en garde contre « une longue et ultime bataille » à venir. En juin 2019, quelques jours avant le 15e anniversaire de l’attentat à la bombe à clous perpétré par le NSU à Mülheim, à Cologne, la propagande de l’AWD a été distillée à travers les boîtes aux lettres des populations locales en guise d’avertissement aux musulmans de quitter l’Allemagne. L’attention portée aux musulmans par la branche allemande de l’AWD a été redoublée avec la menace qui pèse sur Cem Özdemir.
Une menace sérieuse imminente
Il semble peu probable que la présence de l’AWD en Allemagne constitue une menace considérablement accrue pour l’État et pour les particuliers. À l’heure actuelle, la branche américaine de la division Atomwaffen se concentre à répandre la haine et tente d’inspirer des actes violents tout en étant assis confortablement derrière les ordinateurs. De même, le courrier électronique envoyé à Özdemir et la campagne épistolaire à Cologne visent très probablement à accroître les tensions raciales et à semer la peur et la méfiance plutôt qu’à préfigurer des actes de terreur violents réels.
Il n’existe pas encore de preuve que la branche de la division Atomwaffen en Allemagne dispose d’un nombre important d’effectifs, d’armes ou de camps d’entraînement comme celle aux États-Unis. Dans un premier temps, ils se concentreront à établir leur présence en Allemagne par le biais de menaces très médiatisées et du recrutement en ligne. Ensuite, comme leurs homologues américains, ils pousseront la propagande accélérationniste dans le monde réel et en ligne tout en exhortant d’autres individus radicalisés ou instables à commettre des actes de terreur solitaires avec la promesse d’être immortalisés comme un « saint ».
En ce moment, l’on ne devrait pas craindre un «Boogaloo» en Allemagne. Cependant, il est inquiétant de constater à quel point il est devenu facile, grâce aux médias sociaux, pour un petit groupe d’extrémistes basés principalement dans le sud-est des États-Unis, de répandre des idées violentes et de provoquer la panique en Allemagne. À la faveur d’une idéologie dominante qui séduit les nationalistes blancs à l’échelle internationale, à une gestion avisée de celle-ci sur des sites de partage vidéo tels que YouTube et BitChute, ainsi qu’à l’organisation d’applications de messagerie cryptées telles que Telegram, l’AWD a migré sans effort en Allemagne. Par conséquent, les branches de l’AWD constituent un objet indésirable de terreur internationale à l’ère du numérique.