European Eye on Radicalization
L’Organisation des Nations unies s’est réunie le mardi 28 janvier pour évaluer la situation des droits de l’homme en Turquie.
Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH) procède à un Examen périodique universel (EPU) de la situation des États membres dans le but «d’améliorer la situation des droits de l’homme dans tous les pays et de s’attaquer aux violations des droits de l’homme où qu’elles se produisent». Ce processus a débuté en 2008. Pour ce qui est de la Turquie, c’est la troisième fois que le pays fait l’objet d’un examen—les sessions précédentes se sont tenues en 2010 et 2015 en raison des préoccupations concernant l’orientation de l’Etat. Les rapporteurs ou « troïka » chargés de superviser l’examen de la Turquie étaient: le Bahreïn, la Slovaquie et la Somalie.
L’EPU repose sur trois séries de documents, qui «sont:
1) le rapport national—les informations fournies par l’État examiné;
2) les informations contenues dans les rapports d’experts et de groupes indépendants des droits de l’homme, connus sous le nom de procédures spéciales, d’organes conventionnels des droits de l’homme et d’autres entités des Nations unies;
3) les informations provenant d’autres parties prenantes, notamment des institutions nationales des droits de l’homme, des organisations régionales et des groupes de la société civile.»
Le rapport national fait valoir que le contexte des événements survenus en Turquie depuis le dernier examen en 2015, à savoir la «tentative de coup d’État d’une ampleur et d’une brutalité sans précédent organisée et perpétrée par l’organisation terroriste güléniste (FETÖ)» en juillet 2016, doit être pris en compte, étant donné que ce putsch manqué justifie la mise en place de l’état d’urgence (EdU) dans le pays jusqu’en juillet 2018, date à laquelle il a été levé et un «programme de réformes» a par la suite été entamé. Le document affirme qu’Ankara a agi dans l’optique d’appliquer les recommandations de la dernière session sur tout ce qui avait été décidé, des droits des enfants et de la traite des êtres humains à l’interdiction de transit sur son territoire des combattants terroristes étrangers.
La session de l’EPU a commencé par une intervention du gouvernement turc, représenté par Faruk Kaymakçı, vice-ministre des affaires étrangères. Kaymakçı a fait valoir que la Turquie a autorisé la présence d’observateurs des droits de l’homme pendant toute la durée de l’état d’urgence, démontrant ainsi son ouverture et son engagement en faveur des droits de l’homme, même en période de crise. Kaymakçı a ajouté que les réformes du système judiciaire après la levée de l’état d’urgence ont déjà porté leurs fruits et qu’un autre train de mesures est en cours. L’État turc protège les libertés des citoyens conformément aux normes de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), a déclaré Kaymakçı, y compris le droit de manifester. Kaymakçı a conclu que la situation des Turcs «n’était pas bien comprise et qu’ils n’avaient pas reçu tout le soutien dont ils avaient besoin de la part de certains … partenaires», mais la Turquie continue à «placer la barre très haut» en matière de droits de l’homme et à «remédier à ses éventuelles défaillances».
Il va sans dire que cela a été contesté.
Avant la session de l’EPU, l’Observatoire international des droits de l’homme (OIDH), qui est un groupe basé à Londres et qui se consacre à l’étude des violations des droits de l’homme, a tenu un panel axé sur la liberté de la presse. L’un des intervenants Nurcan Baysal, un journaliste kurde, a noté: «Nous (citoyens turcs) nous censurons» par crainte de représailles de la part de la Turquie, même lorsque les gens sont à l’extérieur du pays. «Tout ce que je dis a un effet non seulement sur ma vie, mais aussi sur la vie de mes enfants et celle de ma famille», a-t-il ajouté. Etait également présent dans le panel, Yavuz Baydar, membre du Hizmet, la confrérie islamiste dirigée par l’imam Fethullah Gülen qui vit en Pennsylvanie. Il déclara à cet effet: «Aucun État ou pouvoir ne peut décider qui est un journaliste, cela relève de la compétence des organisations professionnelles et doit toujours être séparé du pouvoir». Le gouvernement turc accuse les gülenistes d’être à l’origine de la tentative de coup d’Etat de 2016.
Lors de la session de l’EPU, en réponse au rapport de la Turquie, un certain nombre d’Etats—comme le Qatar et le Venezuela—étaient de manière générale favorables. La plupart des autres pays ont critiqué le système judiciaire turc, recommandant des révisions majeures pour garantir son indépendance vis-à-vis des pressions politiques afin d’empêcher des poursuites arbitraires. En outre, ces pays se sont montrés particulièrement préoccupés par l’érosion des droits des femmes. Les États occidentaux, de l’Australie à l’Irlande, ont réitéré la plainte selon laquelle le pouvoir judiciaire turc supprimait la liberté d’expression, comme presque toutes les autres délégations.
L’Arménie a soulevé la question des discours de haine raciste à l’encontre des chrétiens arméniens, des Kurdes et des Roms en Turquie, ainsi que l’incapacité persistante de la Turquie à fournir les informations sur les personnes disparues à Chypre. L’Irak a soulevé le problème du non-respect par la Turquie des frontières des autres pays, tout comme la Syrie, qui a aussi accusé la Turquie de soutenir les terroristes sur son territoire.
Les recommandations du Royaume-Uni ont indiqué que la Turquie a beaucoup à faire pour prévenir les mariages d’enfants et réformer le système judiciaire afin de protéger les droits fondamentaux, notamment la liberté des médias. Les Etats-unis ont reconnu que la situation judiciaire et les lois antiterroristes telles qu’elles sont actuellement rédigées constituent une menace pour la liberté d’expression en Turquie, ajoutant que des «arrestations arbitraires» sont en cours contre des journalistes et d’autres dissidents du gouvernement, tels que les minorités religieuses.
Comme autres contributions, l’Arménie et la Bosnie se sont fait l’écho du Royaume-Uni et des États-Unis en attirant l’attention sur les menaces qui pèsent actuellement sur la liberté d’expression en Turquie et sur l’utilisation de discours de haine contre les minorités qui sapent le principe d’égalité. La Croatie, Haïti, l’Inde, le Japon et le Kirghizstan ont souligné le problème des femmes en Turquie, notamment la question de la discrimination fondée sur le sexe. Le Canada et Malte se sont montrés particulièrement préoccupés par la situation des homosexuels en Turquie, faisant remarquer que les marches des fiertés étaient interdites depuis cinq ans .