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Les forces spéciales saoudiennes et yéménites, avec l’aide des forces d’opérations spéciales américaines, ont capturé, le 3 juin 2019, Muhammad Qanan al-Sayari (Abu Osama al-Muhajir), le leader de l’État Islamique (Daesh) au Yémen lors d’un raid sur une maison dans le sud du pays. Le directeur financier de l’État Islamique et plusieurs autres dirigeants ont également été capturés. Riyad a dirigé l’opération, tandis que les États-Unis ont joué un rôle de « conseil et d’assistance », tout en fournissant un soutien logistique et de renseignement pour l’opération [1].
Selon la coalition dirigée par les Saoudiens, le succès de l’opération est principalement attribuable à l’arrestation, le 18 mai 2019, de Bilal Muhammed Ali al-Wafi, un haut responsable d’Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQAP), quelques semaines auparavant. Al-Wafi, un terroriste désigné par les États-Unis, serait l’informateur qui aurait aidé à mener à Al-Sayari et à ses lieutenants [2].
Depuis l’annonce de sa création au Yémen, l’État Islamique a perpétré de nombreux attentats terroristes meurtriers, allant d’attaques de guérilla quotidiennes comme l’assassinat du gouverneur d’Aden en décembre 2015, à plusieurs atrocités spéculaires, notamment le double attentat suicide à la bombe perpétré le 20 mars 2015 dans des mosquées chiites de la capitale, Sanaa, qui a tué 137 personnes.
L’opération dirigée par l’Arabie Saoudite qui a permis de capturer Al-Sayari survient à un moment où la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite est principalement préoccupée par la lutte contre les rebelles Houthi soutenus par l’Iran, principal obstacle à la restauration du gouvernement légitime. Téhéran est aussi une source d’instabilité qui affecte actuellement l’Arabie Saoudite au plan interne, alors qu’un certain nombre de missiles ont été tirés par les Houthi dans le Royaume ces dernières semaines. Cela montre toutefois clairement que Riyad comprend qu’il existe divers problèmes de sécurité qui menacent la stabilité du Yémen.
L’opération saoudienne a un certain nombre d’implications pour les efforts de lutte contre le terrorisme au Yémen. Elles peuvent être résumées comme suit:
Premièrement: C’est un coup dur pour l’État Islamique au Yémen
La coalition arabe au Yémen a consacré des moyens considérables à la lutte contre l’État Islamique depuis son intervention en 2015, comme en témoignent les grèves contre l’État Islamique à Aden, Shabwa et Hadramaout au cours des deux dernières années qui ont fracturé le groupe [3]. La capture de l’émir de l’État Islamique et de ses lieutenants pourrait entraîner une nouvelle baisse du moral et provoquer des défections dans une branche de l’État Islamique déjà relativement faible et qui ne détient aucun territoire. Au Yémen, l’État Islamique ne compte que 250 à 500 membres, selon les Nations Unies [5], et n’a pas réussi à établir une base populaire de soutien dans la société yéménite [6]. Au contraire, l’État Islamique s’est heurté à des acteurs insurgés et tribaux qui partagent des objectifs et des idéologies similaires.
Deuxièmement: cela montre l’engagement continu de la coalition dans la lutte contre le terrorisme au Yémen
L’opération souligne le fait que la coalition arabe est impartiale dans son souci de freiner l’extrémisme et de déstabiliser les forces au Yémen, qu’il s’agisse des chiites Houthis ou des sunnites Al-Qaïda et l’État Islamique — une position politique sans complication puisque ces deux derniers groupes terroristes ont déclaré que l’Arabie Saoudite est leur principal ennemi [7]. Bien qu’il s’agisse de la première opération conjointe américano-saoudienne menée publiquement contre les radicaux sunnites au Yémen, il y en a eu d’autres, dont certaines ont été menées conjointement par les États-Unis et les Émirats Arabes Unis, l’autre pilier principal de la coalition arabe, contre AQAP et ses alliés.
Troisièmement: il est probable qu’elle produira des renseignements utiles qui pourront être utilisés pour faire avancer les efforts de lutte contre le terrorisme
On s’attend à ce que la capture d’Al-Sayari et de ses lieutenants fournisse des informations précieuses sur le réseau de l’État Islamique au Yémen et ses partisans, que ce soit au sein des autres milices et de la population ou à l’extérieur, en particulier en révélant toute source étrangère d’armes et de financement [8]. Outre les prisonniers, le raid du 3 juin 2019 a permis aussi de recueillir de nombreuses informations numériques sur des téléphones portables, ordinateurs, GPS et matériels de communication [9].
Quatrièmement: cela pourrait ouvrir la voie à une campagne anti-djihadiste plus large
L’opération menée par les Saoudiens contre l’État Islamique pourrait ouvrir la voie à des efforts plus directs pour contrer l’influence de l’AQAP, empêchant ainsi le groupe d’utiliser la guerre civile yéménite pour améliorer sa position. L’AQAP constitue une grande menace plus sérieuse que l’État Islamique au Yémen, avec un effectif estimé entre 6 000 et 8 000 individus [10]. L’AQAP représente également une menace viable au-delà des frontières du Yémen d’une manière que l’État Islamique ne représente pas (encore). L’AQAP a utilisé le Yémen pour lancer des attaques terroristes contre les Occidentaux et leurs intérêts, tout en donnant des instructions aux « loups solitaires » à l’intérieur de l’Occident à travers son magazine numérique de langue anglaise « Inspire » sur la manière de fabriquer des bombes et mener des attaques terroristes [11]. Le fait que l’AQAP n’a pas mené une pareille attaque depuis longtemps est une décision tactique et pourrait être facilement renversé à tout moment.
Cinquièmement: elle discrédite les attaques politiques contre la coalition
Certains ont fait valoir que l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis soutiennent, directement ou indirectement, l’AQAP et l’État Islamique au Yémen. Il n’existe aucune preuve qui vient étayer ces allégations, et le fait que les deux pays ont maintenant participé à des missions publiques de haut niveau de lutte contre le terrorisme aux côtés des États-Unis contre Al-Qaïda et l’État islamique devrait mettre un terme à ces accusations. La réalité est que l’AQAP a ciblé l’Arabie Saoudite plus que tout autre État, et la guerre du gouvernement saoudien contre l’AQAP n’a pas été moins féroce — y compris l’infiltration de l’organisation et l’acquisition des renseignements essentiels pour éviter la tentative de faire sauter un avion-cargo américain en octobre 2010 [12].
Conclusion
La coalition arabe poursuivra sa mission, en partenariat avec le gouvernement légitime du Yémen, les alliés régionaux et les Américains, visant à rétablir la stabilité interne du Yémen et à empêcher les organisations terroristes qui menacent la stabilité régionale d’utiliser le territoire de ce pays comme une base arrière. L’opération réussie contre le leader de l’État Islamique au Yémen ne sera pas la dernière. On s’attend à ce que, parallèlement aux efforts visant à empêcher les frappes que l’État Islamique pourrait maintenant perpétrer en représailles contre l’Arabie Saoudite, les efforts de la coalition arabe, au cours de la prochaine période, seront orientés de plus en plus vers la lutte contre les menaces venant de l’AQAP au Yémen.
Références
[1] Kareem Fahim and Missy Ryan, Saudi Arabia announces capture of an ISIS leader in Yemen in U.S.-backed raid, The Washington Post, 25 juin 2019, accessible sur: https://wapo.st/2FJ8hny
[2] Ali Mahmood and Mina Aldroubi, More raids expected after ISIS leader’s capture, Yemen security official says, The National, 26 juin 2019, accessible sur: https://bit.ly/2FtGSWP
[3] Ali Mahmood and Mina Aldroubi, op.cit.
[4] ISIS in Yemen, Critical Threats, accessible sur: https://bit.ly/2XdOWB6
[5] Kareem Fahim and Missy Ryan, op.cit.
[6] Jonathan Fenton-Harvey, Al-Qaeda: Still Deadly Threat In Yemen, Lobelog, May 9, 2019, accessible sur: https://bit.ly/2vS9SCl
[7] Khalid bin Salman: Arrest of ISIS Leader in Yemen Latest Example of Saudi Commitment to Fight Terror, Asharq Al-Awsat, 25 juin 2019, accessible sur; https://bit.ly/321rXg4
[8] Ali Mahmood and Mina Aldroubi, op.cit.
[9] Saudi Special Forces Capture Leader of Daesh (ISIS) Branch in Yemen, PR Newswire, 25 juin 2019, accessible sur: https://prn.to/327n8Sn
[10] Jonathan Fenton-Harvey, op.cit.
[11] Jonathan Fenton-Harvey, op.cit.
[12] Julian Borger, Chris McGreal and Tom Finn, Cargo plane bomb plot: Saudi double agent ‘gave crucial alert’, The Guardian, 1 novembre 2010, accessible sur: https://bit.ly/2GzYNcT.