L’Europe centrale n’a pas connu la le tumulte qu’a vécu l’Europe occidentale autour de la question du retour des djihadistes. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de problème, mais seulement que cela s’est produit à une échelle beaucoup plus faible qu’à l’ouest.
Comme l’a affirmé Stanisław Żaryn, en parlant au nom du Coordinateur des services spéciaux, à European Eye on Radicalization dans une déclaration, «la menace est marginale pour la Pologne», car le nombre de combattants étrangers originaires de Pologne est relativement faible.
Des avis similaires ont été obtenus auprès d’experts d’autres pays d’Europe centrale et orientale. M. Kacper Rękawek, chef du programme de défense et de sécurité de Globsec à Bratislava, en Slovaquie, a déclaré: «Ce problème est très limité dans les pays d’Europe centrale et orientale, car il n’y existe pas d’anciens combattants ni de réseaux terroristes». Radko Hokovský, responsable du programme de sécurité intérieure du groupe de réflexion sur les valeurs européennes, considère également le problème du retour des combattants comme «marginal en République tchèque et peu préoccupant pour le gouvernement». Néanmoins, son organisation, en collaboration avec d’autres experts, a préparé un document d’orientation intitulé «Cadre complet de lutte contre l’extrémisme islamique dans les démocraties libérales » [1]. Une fois de plus, il existe un problème, mais il est beaucoup moins important que pour les sociétés et gouvernements d’Europe occidentale.
La Pologne fournit une étude de cas illustrative. On estime qu’entre 15 et 40 personnes originaires de Pologne ont rejoint des organisations terroristes en Syrie et en Irak. Ils peuvent être divisés en trois catégories: les migrants polonais qui se sont radicalisés à l’étranger, les réfugiés, et les migrants d’autres pays vivant en Pologne, notamment les Tchétchènes, et les Polonais qui se sont radicalisés dans leur pays d’origine.
Un exemple classique d’un Polonais qui a déménagé dans un autre pays de l’Union européenne après le démantèlement des frontières et qui s’est radicalisé est celui de Jacek S., qui a émigré en Allemagne en 2005. Il s’est converti en 2014 et a rapidement rejoint l’État islamique (Daesh). En 2015, il est mort dans un attentat suicide contre la raffinerie irakienne de Baiji[2]. Parmi les précédentes vagues de migration djihadiste, on peut également citer Kristian Ganczarski (Abu Ibrahim), de Gliwice dans le sud de la Pologne, qui s’était rendu en Allemagne avec ses parents dans les années 1970 et y avait été naturalisé. Ganczarski a été co-responsable de l’attaque de la synagogue de l’île tunisienne de Djerba en 2002, lors de laquelle 21 personnes ont été massacrées. Il a été arrêté en France et y purge actuellement une peine de 18 ans de prison [3].
Dawid Ł. (Abu Hanifa) est un archétype du migrant radicalisé en Pologne. Il vivait en Norvège, où il s’était installé dans sa jeunesse avec sa famille. Selon certains récits, il s’est converti à l’islam et s’est radicalisé alors qu’il se trouvait en Scandinavie.[4] Selon d’autres, il a épousé une femme musulmane polonaise dans une mosquée de Varsovie et s’est radicalisé après cela. Dans les deux cas, il s’est rendu en Syrie en 2014 et aurait rejoint Harakat Fajr al-Sham al-Islamiyya (le mouvement islamique Dawn of Syria/ ‘Aurore de la Syrie’). Il a été arrêté par les services de sécurité norvégiens à son retour dans le pays en 2015. Par la suite, il a été transféré en Pologne pour y être poursuivi, bien qu’il ait été libéré après trois ans de procédure judiciaire, en décembre 2018. Cependant, Dawid Ł a été mis sous étroite surveillance par l’Agence de sécurité intérieure (ABW) et a été arrêté de nouveau en mars 2019 pour suspicion d’avoir préparé un attentat terroriste en Pologne[5].
Un autre exemple de radicalisation des résidents étrangers en Pologne est celui de Kyuri A., un réfugié de Tchétchénie, qui «voulait égaler ses ancêtres en combattant les Russes». En 2016, il rejoint Jamaat Tarkhan, un groupe d’insurgés extrémistes en Syrie qui lutte contre le régime de Bachar al-Assad. L’année suivante, il a été incarcéré en Pologne par ABW et est poursuivi pour terrorisme.[6] Un autre cas de Tchétchène basé en Pologne accusé de participation à des organisations terroristes est celui d’Alvi A., arrêté par ABW en 2018. Il est également poursuivi pour avoir préparé des itinéraires de migration illégale; ce qui fait craindre que d’autres combattants tchétchènes étrangers parviennent à infiltrer la Pologne en utilisant ces réseaux logistiques [7].
En ce qui concerne les étrangers qui se sont radicalisés en Pologne et qui ont rejoint ou conspiré avec des groupes terroristes, tchétchènes en particulier, Żaryn affirme que «si des informations crédibles sont obtenues selon lesquelles une personne spécifique peut constituer une menace pour la sécurité de la RP (République de Pologne), des actions peuvent être entreprises pour annuler son statut protégé sur le territoire de la RP». En d’autres termes, ils peuvent être déportés vers la Russie. Et de tels cas se sont déjà produits, comme celui d’Azamat Bajdujev qui, selon les preuves recueillies par les services de sécurité, était un combattant étranger de Daesh. En décembre 2018, il a été renvoyé de force en Fédération de Russie. La complication, dans ces cas, est liée aux préoccupations concernant les droits de l’homme des personnes renvoyées en Russie, qui pourraient être persécutées ou torturées — et pas seulement par Moscou. Le régime tchétchène de Ramzan Kadyrov est notoirement brutal envers ses opposants. Żaryn affirme que de telles préoccupations au sujet de Bajdujew se sont avérées injustifiées[8].
Enfin, le terrorisme local en Pologne constitue un problème très limité. L’un des cas les plus notoires était celui de Jakub Jakus. Tel que rapporté plus tard par les médias, Jakus se rendait constamment dans une mosquée locale à Lublin, dans l’est de la Pologne, et avait été radicalisé avant de quitter le pays, d’abord pour la Norvège, ensuite de là pour le «califat» de Daesh, où il est mort (en Syrie) en 2017 [9]. Un cas plus récent de terrorisme local est celui de la «mariée de Daesh» interrogée par Sarah El-Deeb, journaliste à Baghuz dans l’est de la Syrie, près du dernier bastillon de Daesh. Il s’agit d’une Polonaise mariée à un Tchétchène avec qui elle s’est rendue en Syrie. Elle ne quittera la Syrie que lorsqu’elle sera autorisée à «rentrer chez sa mère», c’est-à-dire en Pologne[10].
Jusqu’à présent, la Pologne a été en mesure d’adopter une approche très individualisée pour faire face à ses problèmes de djihadisme en raison de leur faible ampleur.
Dans les autres pays de la région, le problème a été encore plus limité. En République tchèque, par exemple, 11 citoyens seulement se sont joints à des terroristes en Syrie.[11] Un État comme la Hongrie n’a été victime que d’un incident majeur isolé qui a nécessité l’intervention des services de sécurité. Le 24 mars, les tribunaux hongrois ont ordonné l’arrestation du citoyen syrien Hassan F., soupçonné d’avoir participé à la décapitation de prisonniers de Daesh. Il bénéficie d’un statut de réfugié en Grèce. Avant la décision d’arrestation, il devait être expulsé de Hongrie en raison d’une condamnation avec sursis pour trafic d’êtres humains [12].
[1] J. Stehlik, Full-Scale Framework for Countering Islamic Extremism in Liberal Democracies, European Values 2018, https://www.homeaffairs.cz/wp-content/uploads/2018/11/FULL-SCALE-FRAMEWORK-FOR-COUNTERING-ISLAMIC-EXTREMISM-IN-LIBERAL-DEMOCRACIES.pdf
[2] R. Machnikowski, A. Legieć, « The Favored Conflicts of Foreign Fighters From Central Europe”, Jamestown Foundation, 12.10.2017, https://jamestown.org/program/favored-conflicts-foreign-fighters-central-europe/
[3] M. Stevens, “Man Said to Have Ties to Al Qaeda Is Charged With Conspiring to Kill Americans”, The New York Times, 17.01.2018 https://www.nytimes.com/2018/01/17/nyregion/christian-ganczarski-al-qaeda-charged.html
[4] Les circonstances de sa conversation ne sont pas claires R. Machnikowski affirme qu’elle a eu lieu en Pologne, d’autres sources soutiennent qu’il a vécu depuis sa jeunesse en Norvège et parce qu’il est tombé amoureux d’une fille musulmane, il s’est converti à l’Islam. Tous s’accordent cependant à dire qu’il s’est radicalisé alors qu’il était en Norvège. R. Machnikowski, A. Legieć, op. cit. compare B. Żurawic, Z Radomia do Syrii ‘bo źle się zakochał, TVN, https://www.tvn24.pl/magazyn-tvn24/z-radomia-do-syrii-bo-zle-sie-zakochal,124,2222
[5] “Planował zamach w Polsce. Wcześniej był oskarżony o terroryzm, ale… wyszedł z aresztu”, Radio Zet, 04.03.2019 https://wiadomosci.radiozet.pl/Polska/Dawid-L.-podejrzany-o-planowanie-zamachu-w-Polsce-niedawno-wyszedl-z-aresztu
[6] “Walczył w czeczeńskim oddziale w Syrii. W Warszawie ruszył proces Kyuriego A., RMF, https://www.rmf24.pl/fakty/polska/news-walczyl-w-czeczenskim-oddziale-w-syrii-w-warszawie-ruszyl-pr,nId,2448467
[7] “Czeczen zatrzymany przez ABW za związki z Państwem Islamskim, “TVP Info”, 13.12.2018, https://www.tvp.info/40406446/czeczen-zatrzymany-przez-abw-za-zwiazki-z-panstwem-islamskim
[8] M. Mieśnik, “‘Deportowany Czeczen walczył w szeregach Państwa Islamskiego’. Polska ujawnia powody deportacji”, Wirtualna Polska, 03.10.2018 https://wiadomosci.wp.pl/deportowany-czeczen-walczyl-w-szeregach-panstwa-islamskiego-polska-ujawnia-powody-deportacji-6301980027611265a
[9] R. Machnikowski, A. Legieć, op. cit.
[10] “Media: z ostatniego bastionu ISIS uciekają najwierniejsi zwolennicy. Wsród nich są Polacy”, Polsat News, 225.02.2019, http://www.polsatnews.pl/wiadomosc/2019-02-25/media-z-ostatnego-bastionu-isis-uciekaja-najwierniejsi-zwolennicy-wsrod-nich-sa-polacy/
[11] “Annual Report of the Security Information Service for 2017”, Security Information Service Czech Republic,
https://www.bis.cz/public/site/bis.cz/content/vyrocni-zpravy/en/ar2017en.pdf
[12] “Hungary detains Syrian Islamic State member accused of killings”, Reuters, 24.03.2019 https://www.reuters.com/article/us-hungary-isis/hungary-detains-syrian-islamic-state-member-accused-of-killings-idUSKCN1R31PQ