La perception de la menace du terrorisme djihadiste, qui plane sur les différents pays de l’Union européenne (UE) et même sur le reste du monde, a connu une évolution importante ces derniers temps. Cela a changé le point de vue des gouvernements sur les réponses appropriées.
La défaite de l’État islamique (Daesh) en Syrie et en Irak a provoqué un changement dans la principale préoccupation des États membres de l’UE. Si qu’auparavant, ils s’inquiétaient surtout de la radicalisation intérieure et du départ de leurs citoyens pour rejoindre les rangs de groupes terroristes étrangers, ils s’inquiètent désormais du retour de ces citoyens dans leur pays d’origine et de la menace qu’ils représentent pour la sécurité nationale et la cohésion sociale.
Les récents reportages des médias sur les citoyens européens qui ont rejoint les groupes armés dans les zones de conflit, à savoir la Syrie, ont déclenché un vaste débat controversé, qui a divisé non seulement l’opinion publique mais aussi les gouvernements, les différents départements préconisant des solutions différentes quant à la manière la plus appropriée de gérer ces rapatriés — ou de leur permettre de rentrer et de conserver leur nationalité.
Le gouvernement espagnol fait partie de ceux qui ont été chargés de développer des outils adéquats et de mettre en lumière leur nécessité face à ce phénomène. Ces efforts ont produit comme résultat la récente Stratégie nationale espagnole contre le terrorisme (NSAT), publiée le 22 février 2019.
Pour la première fois, il identifie le retour des terroristes des zones de conflit comme l’un des principaux risques dont l’État doit être conscient lorsqu’il applique la politique antiterroriste espagnole.
Actuellement, selon les données fournies par le ministère espagnol de l’Intérieur, un minimum de 230 personnes en provenance d’Espagne, citoyens ou résidents, principalement de Ceuta, Melilla, Madrid et Catalogne, se sont rendues à l’étranger dans des zones de conflit et ont rejoint les différents groupes djihadistes. Environ 25 % d’entre eux y sont décédés et 20 % en sont revenus. Ainsi, une cinquantaine de cas sont suivis ou pris en charge.
Ces rapatriés, selon le NSAT récemment délivré, sont le groupe qui représente le plus grand risque, en raison de la formation et de l’endoctrinement qu’ils ont reçus, et de l’opportunité réelle qu’ils auront d’inciter, de recruter ou d’aider à perpétrer des attaques terroristes aux frontières nationales. La principale intervention vise à contrôler et à surveiller ces personnes au moyen de la surveillance, des poursuites et de la réclusion.
La stratégie espagnole de lutte contre le phénomène de ces rapatriés a été élaborée antérieurement dans le cadre du Plan stratégique national, analysé précédemment par l’EER, qui s’efforce de prévenir et de contrer la radicalisation, en mettant l’accent sur la surveillance et l’évaluation du risque lié aux personnes. Pour ce faire, les forces de sécurité espagnoles ont collaboré avec les groupes de prévention locaux et le site Stopradicalismos.com, sur lequel la société civile peut alerter les autorités d’éventuels cas de radicalisation.
Une partie de la stratégie espagnole de lutte contre la radicalisation consiste en une politique pénitentiaire.
Une attention particulière a été accordée à la prévention et à la lutte contre le radicalisme dans les prisons, et le phénomène des rapatriés l’accentue davantage. Dans de nombreux pays, au Moyen-Orient et au-delà, les prisons sont devenues un terreau fertile pour les extrémistes islamistes. Si l’Espagne réussit à emprisonner des rapatriés dangereux, elle se heurte alors au problème sérieux: celui de les empêcher de radicaliser les autres détenus. Cela s’ajoute à la lutte en cours pour trouver un processus de déradicalisation et de désengagement pour les détenus déjà radicalisés.
En Espagne, ces dernières années, la population carcérale liée au terrorisme djihadiste a connu une croissance exponentielle en raison de la compétence croissante des forces de sécurité antiterroristes. Les personnes condamnées ou emprisonnées pour des crimes liés au terrorisme djihadiste dépassent 130 et sont réparties dans trente prisons.
La politique pénitentiaire a été menée en Espagne dans le contexte du Programme-cadre de lutte contre la radicalisation. Les données disponibles montrent que depuis son lancement en 2017, 41 détenus ont participé au programme. Treize d’entre eux continuent de participer activement; dix ont terminé avec succès le programme; et dix-huit ont abandonné le programme pour diverses raisons: soit parce qu’ils ont été libérés, transférés dans une autre prison, renvoyés ou ont volontairement abandonné.
Cette nouvelle stratégie espagnole innovante de lutte contre le terrorisme vise à «élaborer des programmes de traitement et de surveillance spécifiques et complets pour les combattants terroristes étrangers de retour au pays, en accordant une attention particulière aux questions de genre et d’âge»
L’intention est d’appuyer les aspects sécurisés de la politique par les mesures nécessaires pour désengager, déradicaliser et, si possible, réintégrer les combattants étrangers de retour dans leur pays d’origine. Il s’agit concrètement d’impliquer d’autres membres de la famille, de répondre aux besoins de santé mentale et d’assurer le bien-être matériel de base afin d’améliorer le succès de ces programmes, comme le recommandent les organisations internationales de l’UE et des Nations Unies, le Réseau de sensibilisation à la radicalisation, le Conseil de l’Europe et l’OSCE.
Toutefois, aussi sérieuses que soient ces questions, le plus grand défi immédiat pour la nouvelle stratégie espagnole est d’ordre juridique: il a été extrêmement difficile de poursuivre les rapatriés d’une manière appropriée.
Pour essayer d’y remédier, la nouvelle stratégie met l’accent sur la collaboration internationale comme une nécessité pour la gestion des rapatriés. Elle a pour objectif principal la mise en place de «mécanismes permettant d’intégrer dans la procédure judiciaire les preuves obtenues dans les zones de conflit, avec les garanties procédurales correspondantes, et de préserver la réserve des enquêtes en cours».
Par conséquent, la manière judiciaire de procéder au traitement subséquent et à l’emprisonnement de ces personnes est considérée comme une priorité.
En résumé, la réorganisation des approches judiciaire et pénitentiaire et l’amélioration de la politique nationale de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent et le radicalisme, y compris l’actualisation nécessaire des outils et cadres juridiques connexes, constituent un bon début. Cependant, un certain nombre de questions doivent encore être traitées et développées afin de gérer correctement les djihadistes qui retournent en Espagne. La phase de suivi ou de postcure est le principal domaine politique qui reste à développer. La disponibilité de spécialistes compétents, ainsi que l’adhésion des autorités locales et probablement des familles, seront nécessaires pour assurer le suivi de la situation de ceux qui sont autorisés à réintégrer la communauté après avoir suivi des programmes de désengagement et de déradicalisation.