Dr Richard Burchill
En mars 2019, le gouvernement du Royaume-Uni a inscrit le Hezbollah (Parti de Dieu) sur sa liste des organisations terroristes interdites. Le Royaume-Uni n’est devenu que le deuxième État au sein de l’Union européenne — l’autre étant les Pays-Bas — à désigner l’ensemble de l’organisation du Hezbollah comme entité terroriste. Actuellement, l’UE et un certain nombre d’États membres désignent l’«aile militaire» du Hezbollah, définie comme comprenant le Conseil du Jihad du Hezbollah et l’Organisation de Sécurité Extérieure, comme une organisation terroriste, mais n’étendent pas cette désignation à l’ensemble du Hezbollah. La tentative de désagrégation de la structure interne du Hezbollah repose sur l’idée selon laquelle la confusion des composantes qui s’engagent dans la violence terroriste avec l’«aile» politico-sociale créerait une unité autour des éléments plus radicaux de l’organisation, entraverait un engagement constructif, et pourrait bouleverser la politique du Liban. Aucune de ces raisons ne tient la route face à l’examen minutieux.
Loin de tout engagement avec l’«aile» politique qui s’emploie à «modérer» le groupe, il est évident que les activités terroristes du Hezbollah, les réseaux criminels transnationaux, l’utilisation illégale de la force militaire sur le territoire d’autres États et sa responsabilité dans les crimes de guerre et autres atrocités en Syrie ne cessent de croître. En outre, le Hezbollah lui-même est très clair sur le fait qu’il n’existe pas d’unités organisationnelles distinctes. En 2012, un porte-parole du Hezbollah a déclaré, sur un ton quelque peu exaspéré, que «le Hezbollah est une organisation unique et importante. Nous n’avons pas d’ailes séparées les unes des autres.» L’ensemble de l’organisation, y compris toutes ses opérations — terrorisme, criminalité organisée, opérations militaires, politiques, sociales — sont menées par l’autorité centrale du Secrétaire général, actuellement Hassan Nasrallah. Le fait que l’UE et d’autres continuent à travailler sur l’idée qu’il existe différentes ailes du Hezbollah n’est pas seulement une erreur analytique. Cela donne au Hezbollah la latitude de poursuivre ses activités criminelles et de collecte de fonds en Europe et dans le monde pour soutenir son comportement illégal.
La difficulté commence par la catégorisation de l’organisation. [1] Selon le moment et le lieu, le Hezbollah est un groupe terroriste, un acteur politique, un acteur criminel transnational ou un fournisseur de protection sociale. L’argument le plus controversé est celui de savoir si le Hezbollah est un acteur non étatique armé ou s’il fait partie de l’appareil d’État de l’Iran.
Le bilan du Hezbollah en matière d’activités terroristes à l’appui de son idéologie extrémiste est incontesté et, plus récemment, l’attention s’est portée sur la vaste entreprise criminelle transnationale qu’il dirige, principalement le trafic de drogue et le blanchiment d’argent pour soutenir ses autres activités. Le Hezbollah est un acteur politique au Liban: il participe aux élections, a en son sein des membres du parlement et occupe des sièges au sein du gouvernement. Le Hezbollah est bien connu pour être un fournisseur de protection sociale au Liban dans des régions où l’État officiel n’est pas présent. La présence du Hezbollah, concentrée au sud du Liban, a été décrite comme un «État dans un État», mais cette description est moins exacte, car le Hezbollah exerce manifestement un plus grand contrôle sur le système gouvernemental officiel.
En dépit de nombreuses dissimulations, le Hezbollah fait partie de la structure étatique de la République Islamique d’Iran. De l’aveu même du Hezbollah, il reçoit l’essentiel de son soutien financier de l’État iranien, et il est une composante organique du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) de l’Iran, une entité étatique en Iran désignée comme terroriste par les États-Unis. À ce titre, à la sollicitation de Téhéran, le Hezbollah est intervenu, en violation du droit international, dans le conflit en Syrie pour soutenir le régime de Bachar al-Assad, tuant et déplaçant des centaines de milliers de personnes, tout en fournissant des conseils et un soutien dans une série d’autres conflits dans le monde.
Les actions du Hezbollah dans le monde entier démontrent qu’il n’est pas un acteur politique attaché à la paix et à la sécurité ou adhérant aux normes du système international. Le Hezbollah n’a pas été timide dans l’expression de ses convictions et de ses objectifs. Dans les discours de ses dirigeants, se lisent un fort rejet des normes du système international et un soutien au système de croyances de l’Iran, qui placent l’autorité dans une idéologie religieuse qui ne reconnaît aucune frontière. Le Hezbollah fait partie de «l’axe de résistance» de l’Iran, déterminé à mettre fin aux tendances impérialistes des États-Unis et d’Israël. Le Hezbollah va encore plus loin en appelant à la destruction complète d’Israël. La violence et les autres actions illicites à l’appui de cette cause sont considérées comme légitimes.
Le Hezbollah intensifie ses activités criminelles, un processus motivé par des informations récentes selon lesquelles le Hezbollah est confronté à une crise financière. D’un point de vue historique, le financement principal du Hezbollah provient de l’Iran. Toutefois, il semble que l’augmentation des sanctions à l’encontre de l’Iran ait eu un impact sur le Hezbollah, qui se manifeste par le renforcement des efforts de collecte de fonds associé au fait de développer davantage ses réseaux criminels transnationaux. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles l’UE doit désigner l’ensemble du Hezbollah comme une organisation terroriste afin que d’autres mesures puissent être prises pour mettre un terme aux activités criminelles ou, au moins, empêcher la création et le transfert de ressources provenant de comportements illicites. Le secrétaire général du Hezbollah a indiqué qu’une désignation du Hezbollah comme organisation terroriste à l’échelle de l’UE aurait un impact sur leurs réseaux de soutien en Europe.
La nécessité d’étendre la désignation terroriste du Hezbollah par l’UE à l’ensemble de l’organisation se fait attendre depuis longtemps. Le bilan du Hezbollah en matière d’actes terroristes et l’orientation que lui ont donnée les dirigeants centraux signifient qu’il existe des preuves substantielles à l’appui d’une telle désignation. Les actions terroristes du Hezbollah en Europe remontent à 1985 avec le détournement d’un avion en vol d’Athènes pour Rome. En 2012, un bus touristique en Bulgarie a été victime d’un attentat terroriste qui a tué six civils et en a blessé plus de 30 autres. En 2013, un tribunal chypriote a reconnu coupable un individu qui préparait des attentats terroristes à Chypre, et cet individu a admis être membre du Hezbollah.
Il a été récemment révélé qu‘en 2015 de grandes caches de matériel pour explosifs avaient été découvertes au Royaume-Uni, à Chypre ainsi que dans d’autres États européens et d’outre-mer. Il a été rapporté que les services de renseignement britanniques pensaient que ce matériel était destiné à de futurs attentats terroristes. Il s’agissait de plus de trois tonnes métriques de nitrate d’ammonium, un composé chimique couramment utilisé dans les bombes artisanales, ce qui rend difficile la conclusion qu’il s’agit de matériaux stockés à d’autres fins. Des rapports récents des services de renseignement allemands ont fourni de nombreuses informations sur les activités du Hezbollah en Allemagne et en Europe. Ces rapports couvrent un éventail d’activités illicites provenant d’un réseau criminel sans cesse croissant qui s’est infiltré dans les États membres de l’UE pour soutenir ses activités terroristes et illégales.
La désignation du Hezbollah comme organisation terroriste par l’UE entraverait le développement continu de comportements illicites. Une désignation entraînerait des interdictions de voyager et des restrictions à l’activité économique. Cela n’empêchera pas l’UE d’être en contact avec le Hezbollah. Cette désignation met fin à une série d’initiatives de collecte de fonds du Hezbollah à travers l’Europe, mais il est peu probable qu’elle affecte la situation humanitaire au Liban. Les aspects financiers de la désignation empêcheraient également les produits de la criminalité d’aller au Hezbollah et, espérons-le, renforceraient les efforts de la justice pénale pour mettre fin aux activités criminelles transnationales du Hezbollah en Europe et dans le monde.
Comme le montre son engagement en Syrie, le Hezbollah ne fait qu’accroître ses activités de violence et de déstabilisation tandis que l’UE poursuit une approche conciliatoire [2]. En ne réagissant pas aux activités illicites du Hezbollah, l’UE garde ouverte une option de financement. Toute croyance selon laquelle la participation du Hezbollah à un système de gouvernement parlementaire démocratiquement élu au Liban permettra de modérer les activités terroristes et criminelles du reste de l’organisation est profondément erronée [3]. Il n’existe aucune chance que le Hezbollah adopte une position politique différente. Comme pour le mythe selon lequel le Hezbollah a des ailes différentes, il est nécessaire d’écouter le Hezbollah lui-même. Le Hezbollah est clair sur le fait que l’organisation ne vise qu’à promouvoir les objectifs extrémistes de «l’axe de la résistance» — que ce soit par des activités licites ou illicites.
La position «anti-impérialiste» du Hezbollah contre les États-Unis et Israël explique peut-être pourquoi les politiciens européens sont attirés par l’organisation, ont de la sympathie pour elle, ou sont prêts à fermer les yeux sur leurs actions. Cependant, quiconque prétend que le Hezbollah est en quelque sorte légitime ou qu’il apporte une contribution positive à la paix et à la sécurité mondiales devrait y réfléchir. Toute allégation de ce genre repose sur l’acceptation du fait que l’activité criminelle, le terrorisme et l’usage illégal de la force sont des normes de comportement acceptables, ce qui n’est pas le cas. Le moyen le plus efficace de perturber les organisations terroristes et criminelles transnationales est de cibler leurs activités financières. Une désignation du Hezbollah comme organisation terroriste à l’échelle de l’UE serait un pas dans la bonne direction.
[1] On retrouve un aperçu utile des actions récentes dans le livre de Daniel Odin Shaw, (2019) « Beyond necessity: Hezbollah and the intersection of state-sponsored terrorism with organised crime. » Critical Studies on Terrorism https://doi.org/10.1080/17539153.2019.1592074.
[2]Les rapports de la Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU sur la République arabe syrienne fournissent des informations détaillées sur les violations du droit international humanitaire dans le conflit syrien. Dans ces rapports, la Commission ne fait pas de distinction entre le gouvernement syrien, l’Iran ou le Hezbollah lorsqu’elle décrit les violations commises par les «forces gouvernementales». Sachant que jusqu’à 80 000 combattants du Hezbollah ont été impliqués dans le conflit syrien, il est fort probable qu’il ait joué un rôle direct dans les violations. Rapports disponibles sur https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/IICISyria/Pages/Documentation.aspx.
[3] Shaw, 2019, p. 12.