L’Occident semble être à la croisée des chemins, en termes de radicalisation. Il est extrêmement difficile de prédire quel type de radicalisation sera la plus grande menace dans les années à venir—le djihadisme ou l’extrême droite. Cependant, il est très clair que les deux mouvements se renforcent mutuellement. Il y a des raisons de croire que le succès précoce des partis politiques d’extrême droite dans certains pays a contribué à une augmentation sans précédent du nombre de combattants terroristes étrangers. De même, la manière dont le retour éventuel des combattants étrangers et de leurs proches est géré actuellement pourrait devenir un terreau pour la prochaine vague de radicalisation des musulmans en Occident.
Si l’objectif du terrorisme est de porter gravement atteinte à la société, alors le soi-disant État islamique a remporté un grand succès. Sa capacité de semer la peur a contribué à la polarisation de la société que nous connaissons aujourd’hui. De nombreux pays occidentaux voient une montée des partis politiques d’extrême droite, alimentée par un mélange de terrorisme et de questions de migration—qui sont souvent, à juste titre ou non, confondues dans le débat. Dans de nombreux pays, les partis centristes adoptent une conduite plus ferme, non seulement en matière de sécurité mais aussi d’identité, de citoyenneté et, soyons francs, de politique envers l’islam.
Glissement vers la droite
D’après une publication récente du «Global Terrorism Index», le nombre d’arrestations liées au terrorisme de droite a augmenté en Europe pour la troisième année consécutive1. Même certains partis politiques respectés ont commencé à soutenir certaines de leurs idées—en adoptant un ton de plus en plus agressif. Ce qui est inquiétant, c’est que des principes qui sont sacro-saints depuis des décennies sont aujourd’hui remis en question—et pas seulement par des extrémistes marginaux. En Belgique, le deuxième plus grand parti politique néerlandophone—le parti d’extrême droite «Intérêt flamand»—bat à l’heure actuelle campagne contre le rapatriement des combattants terroristes étrangers. Le parti affirme que ces combattants n’ont pas leur place en Belgique, mais sur la potence en Irak2. Et aux Pays-Bas, même le parti du Premier ministre semble approuver l’exécution de ses propres citoyens3.
C’est tout un exploit pour un groupe terroriste, et en termes d’influence sur une société, plus troublant le nombre de pertes qu’il a infligées. Le soi-disant État islamique s’est explicitement donné pour tâche de créer cette polarisation ou, pour mieux reprendre ses propres mots, «d’éliminer la zone d’ombre»4. S’il est clair que les extrémistes des deux camps ont des intérêts en commun, nous devrions cependant nous inquiéter du cercle vicieux qui se profile. Il y a des raisons de croire que le succès précoce des partis politiques d’extrême droite dans certains pays a contribué au nombre disproportionné de combattants étrangers qui sont allés en guerre en Syrie et en Irak5.
Cas de la Belgique
En Belgique, qui a le chiffre par habitant le plus élevé d’Europe occidentale, cette position s’explique mieux par la présence de deux organisations de recrutement très actives au début de la guerre de Syrie. Mais, pourquoi ces recruteurs ont-ils eu autant de succès? Pourquoi ont-ils réussi à attirer autant de jeunes? Il ne semble pas y avoir de différence évidente avec les pays voisins comme les Pays-Bas, pour ce qui est du contexte socio-économique de sa population musulmane. De plus, l’argument selon lequel l’intégration était plus facile pour les étrangers aux Pays-Bas a également été rejeté.
Toutefois, une chose qui diffère est que la Belgique a un parti politique d’extrême droite bien établi et très influent. Lorsqu’il a été créé il y a plus d’un quart de siècle, il était connu sous le nom de «Bloc flamand». Il a ensuite triplé en 1991 en obtenant 17 sièges (contre trois auparavant) et a atteint son apogée avec près de 25 % des voix aux élections régionales de 2004 en Flandre. Bien que le «Bloc flamand»—rebaptisé « Intérêt flamand » en 2004—n’ait jamais été au pouvoir jusqu’à présent, il a un impact majeur sur le débat sur la migration et l’islam depuis des décennies. Il a adressé des messages haineux à la communauté musulmane par le biais de panneaux d’affichage, en imprimant des brochures et en les déposant dans leurs boîtes aux lettres et même à la télévision nationale. Il en résulte que toute une génération de musulmans belges se sent indésirable.
Tableau sombre
Lorsqu’on étudie les djihadistes, il est évident que le sentiment de rejet par la société est un puissant outil de recrutement. «Depuis plus de 50 ans maintenant, les musulmans sont humiliés et forcés de mendier pour des droits simples, comme des lieux de prière et des lieux de sacrifice rituel.» Tels sont les propos le Fouad Belkacem, le fondateur de la charia4, branche de Belgique. «Même lorsqu’un musulman belge parle couramment les deux langues officielles, il court constamment le risque d’être traité comme son grand-père dans les années 70», poursuit-il6. Inutile de dire que le climat ne s’est pas amélioré ces dernières années. Si l’on peut espérer que la cruauté sans limite de l’État islamique a chassé une partie importante de ses potentiels adeptes, en termes de rejet, le tableau est plus sombre que jamais. Nous devrions réaliser à quel point il est important, au moment où la menace terroriste immédiate en Occident s’est quelque peu atténuée, de gérer les conséquences d’une manière qui n’aggrave pas les choses.
Rapatriement de combattants étrangers
La question principale, aujourd’hui, est l’éventuel rapatriement des combattants étrangers et de leurs proches. La plupart des spécialistes prônent que l’option la moins dangereuse est de rapatrier ces personnes et de les poursuivre dans leur pays d’origine. Pendant ce temps, l’argument moral selon lequel les enfants devraient être mis hors de danger va au-delà de tout doute raisonnable. Pourtant, de nombreux gouvernements occidentaux refusent d’agir, ayant recours à toutes sortes de stratagèmes pour tenir ces personnes—y compris les enfants—à l’écart. Comme on l’avait prédit il y a longtemps, leur politique de l’autruche entraîne un terrible chaos: beaucoup de ces combattants emprisonnés et leurs familles se sont échappés, ce qui signifie que de précieuses sources d’information ont disparu et que des individus potentiellement dangereux errent désormais librement.
Outre l’éthique et la sécurité, il y a un autre argument—rarement mentionné—en faveur du rapatriement. En ne les rapatriant pas, nous confirmons que ces personnes sont effectivement des citoyens de seconde classe qui n’ont pas droit aux principes et procédures normaux. En refusant à ces enfants le droit fondamental de vivre et aux adultes le droit à des poursuites justes et équitables, nous confirmons qu’ils n’ont jamais été des membres à part entière de notre société.
Selon nous, qu’est-ce qui va radicaliser le plus la prochaine génération de recrues djihadistes potentielles—l’interdiction du port du foulard ou le fait d’empêcher la construction de mosquées? Ou bien permettraient-t-elles à leurs neveux et nièces de cinq ans de mourir comme des animaux et à leurs frères et sœurs d’être exclus de notre sainte résistance contre la peine capitale? «Je sais comment naissent les terroristes», a récemment écrit un ancien chef de la sûreté nationale du Danemark. «Je sais comment se crée la haine, et le désir de vengeance. Et c’est exactement ce que nous promouvons.» 7
Références
[1] Institute for Economics & Peace. Global Terrorism Index 2019: Measuring the Impact of Terrorism, Sydney, November 2019, http://visionofhumanity.org/app/uploads/2019/11/GTI-2019web.pdf
[2][ Truyts Philippe, Vlaams Belang start petitie: “IS-terroristen horen niet thuis in onze stad, maar aan de galg in Syrië of Irak”, hln.be, November 14, 2019, https://www.hln.be/in-de-buurt/antwerpen/vlaams-belang-start-petitie-is-terroristen-horen-niet-thuis-in-onze-stad-maar-aan-de-galg-in-syrie-of-irak~a61074cc/
[3] Zuidervaart Bart, VVD vindt doodstraf voor Nederlandse IS’ers acceptabel, Trouw, November 7, 2019, at https://www.trouw.nl/politiek/vvd-vindt-de-doodstraf-voor-nederlandse-is-ers-acceptabel~ba00a6bd/
[4] Hussain Murtaza, Islamic State’s Goal: “Eliminating the Grayzone” of coexistence between Muslims and the West, The Intercept, November 17, 2015, https://theintercept.com/2015/11/17/islamic-states-goal-eliminating-the-grayzone-of-coexistence-between-muslims-and-the-west/
[5] Van Vlierden Guy, Molenbeek and Beyond. The Brussels-Antwerp axis as Hotbed of Belgian Jihad. In Varvelli Arturo (Ed.), Jihadist Hotbeds. Understanding Local Radicalization Processes, ISPI Milano, July 15, 2016, https://www.ispionline.it/it/pubblicazione/jihadist-hotbeds-understanding-local-radicalization-processes-15418
[6] Van Ostaeyen Pieter, Statement by Fouad Belkacem Sharia4Belgium, pietervanostaeyen.com, September 20, 2014, https://pietervanostaeyen.com/2014/09/20/statement-by-fouad-belkacem-sharia4belgium/
[7] Bonnichsen Hans Jørgen, Debat: Højrefløjens mørke sniger sig ind på midten, Århus Stiftstidende, November 25, 2019, https://stiften.dk/artikel/debat-h%C3%B8jrefl%C3%B8jens-m%C3%B8rke-sniger-sig-ind-p%C3%A5-midten