Rashad Ali, Institute for Strategic Dialogue (ISD)
La récente attaque de l’État islamique dans la ville de Malé, une destination de lune de miel populaire aux Maldives, pourrait en surprendre plus d’un. Cette destination de vacances idyllique n’a pas tendance à évoquer des images d’un environnement propice au recrutement par des groupes terroristes. Cependant, en fait, près de 200 personnes ont quitté la capitale maldive pour se battre aux côtés de groupes terroristes en Syrie, et ce suite à l’expansion de l’État islamique à l’été 2014, aidé par la guerre de l’État syrien contre sa population. Plus de trente personnes connues espèrent retourner aux Maldives.
L’environnement à Malé est complètement différent de celui des îles touristiques. Elle se targue d’être à 100 % musulmane dans sa population et les valeurs qu’elle défend sont conservatrices et islamiques. Ainsi, contrairement à ce qui se passe sur les îles pour les vacanciers étrangers, il n’y a pas de vente d’alcool. Ce clivage devient de plus en plus évident, ce qui se reflète dans une société de plus en plus polarisée, tant sur le plan culturel que politique.
Dans ces régions, l’identité musulmane traditionnelle — historiquement liée à l’institution de l’université d’Al-Azhar en Égypte — est remise en question dans deux directions.
Les gens décrivent souvent la vision traditionnelle de l’Islam aux Maldives afin de la mettre en contraste avec la montée du wahhabisme non reconstruit — et non avec le type de pensée salafiste/wahhabite souvent décrit comme le plus «calme» sur le plan politique, ou développé à partir du premier mouvement révolutionnaire.
Pour illustrer cette différence, les traditionalistes ont tenté d’épouser la modernité. Par exemple, en ce qui concerne les droits des femmes et leur place dans une société musulmane ouvertement identitaire, il n’est pas rare de voir des jeunes femmes en hijab conduire des motos dans toute la capitale et il y a des femmes à la tête de plusieurs ministères. En revanche, la pensée révolutionnaire wahhabite et rigoriste s’oppose à cette tentative d’intégration et cette doctrine est promue sur l’île.
Dans une librairie islamique, des ouvrages sur le «Jihad dans le Coran et la Sunna», rédigés par des religieux wahhabites purs et durs, défendent l’idée d’al-Wala wal-Bara (un concept qui consiste à n’avoir de fidélité et de loyauté qu’envers les musulmans qui partagent les bonnes croyances). C’est dire que des textes théologiques existent aux côtés d’ouvrages plus ouvertement politisés, influencés par des idéologues des Frères musulmans comme Sayyid Qutb, qui encouragent les conflits de civilisations et rejettent les droits de l’homme et la démocratie, tel l’ouvrage polémique «The Clash of Civilisations», écrit par un certain Bilal Philips un Canadien converti et partisan des attentats suicides.
Cette combinaison de wahhabisme et d’islamisme politique moderne a créé d’énormes conflits dans la société maldive, qui sont toujours en cours d’élaboration, un processus qui se poursuit depuis de nombreuses années dans l’espace de la société civile.
Dans l’autre sens, il y a des voix réformistes, divers acteurs civiques et groupes politiques, dont certains ont été accusés de blasphème, ce qui a accentué la polarisation de la société. Les militants libéraux sont critiqués pour avoir insulté la religion de l’islam, et même la dissolution de divers mouvements démocratiques, portant ainsi soi-disant atteinte à l’«unité» d’une société 100 % musulmane.
Ce conflit idéologique et identitaire n’explique pas à lui seul le recrutement au sein de l’État islamique et d’Al-Qaïda ni le contexte géopolitique en Syrie. Cependant, la compréhension des dynamiques locales permet de se faire une idée de la situation d’une grande partie de la jeunesse des Maldives. Privés de leurs droits et migrant à l’intérieur des îles vers la capitale, ces jeunes manquent d’éducation et sont confrontés au problème croissant des gangs et de la drogue, une situation atomisée et instable qui, selon les activistes sociaux, fournit un solide réservoir de recrutement de personnes vulnérables, sur fond de version toujours plus radicalisée de l’islamisme wahhabite et de conflit idéologique au sein de la société.
Le paysage politique souffre de tensions autour de sa propre composition idéologique et de ses convictions politiques, entre ceux qui voient l’Inde comme un allié et ceux qui s’alignent plus étroitement sur le Pakistan, et ceux qui considèrent la conception de la gouvernance laïque comme étant soit religieusement inclusive soit exclusive. Ces débats divisent la société. Comme au Pakistan, le concept de laïcité semble presque réductionniste pour certains; le mot même pour le décrire, la-deeni, signifie littéralement non religieux et a des connotations de désir de retirer la religion de la société. De l’autre côté, on trouve un concept inclusif de laïcité en tant que neutralité religieuse, comme on le voit en Inde et au Bangladesh.
Ces débats plus larges sur l’identité, le pluralisme religieux, la nature du radicalisme et de l’idéologie extrémiste, et la polarisation par l’intégration d’idéologies extrémistes ou de politiques anti-religieuses, ont créé un environnement propice au recrutement de jeunes hommes vulnérables.
Cette dure réalité constitue un défi pour le gouvernement actuel des Maldives, qui tente de trouver des moyens de réintégrer ses combattants étrangers de retour au pays. La question de savoir quel type de société, de croyance religieuse et de sentiment d’identité maldivienne intégrer et retrouver pour ces individus est une question qui contextualise les débats actuels autour de la déradicalisation et de la gestion des problèmes de sécurité liés à l’État islamique et d’Al-Qaïda.