Akram Umarov, analyste politique indépendant
Le président russe Vladimir Poutine a visité les Émirats arabes unis le 15 octobre 2019. Au cours des dernières années, la coopération politique, sécuritaire et économique entre les États s’est accrue de façon substantielle. Cette première visite présidentielle aux Émirats arabes unis depuis douze ans est un symbole de l’état positif des relations entre ces deux États.[1] Ils ont des intérêts nationaux communs dans de nombreux domaines. La collaboration dans le domaine de la lutte contre le terrorisme est devenue une pierre angulaire des relations actuelles entre les États.
Le facteur majeur de l’intensification de la coopération bilatérale dans la lutte contre le terrorisme est la situation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord où la Russie et les Émirats arabes unis partagent de nombreux intérêts communs. Au cours de l’année dernière, la question de la lutte contre le terrorisme a été discutée plusieurs fois lors des rencontres entre Nikolaï Platonovitch Patrouchev, secrétaire du Conseil de sécurité de Russie et le conseiller à la sécurité nationale des Émirats arabes unis le prince Tahnoon Ben Zayed al-Nahyan en janvier 2019, lors de la visite du ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis Cheikh Abdallah ben Zayed Al Nahyane à Moscou en juin et celle du vice-ministre des Affaires étrangères russe Mikhaïl Leonidovitch Bogdanov aux Émirats arabes unis en septembre.[2] La convergence des intérêts des Émirats arabes unis et de la Russie dans le cadre de la lutte contre le terrorisme peut être perçue en Syrie, Libye et Yémen.
- Syrie. La Russie et les Émirats arabes unis tous les deux considèrent Daesh comme une menace à leur sécurité nationale et à la paix régionale au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Malgré le fait d’avoir au départ des intérêts communs, la Russie et les Émirats arabes unis ont choisi de supporter divers acteurs du conflit syrien dans leur lutte contre Daesh. La Russie a fortement soutenu Bachar Assad conjointement avec l’Iran, et les Émirats arabes unis se sont formellement mis du côté des forces d’opposition aux côtés de ses alliés du Golfe, la Turquie et (nominalement) les USA. Au même moment, Abou Dabi a pris une approche prudente de ne pas être impliqué de façon substantielle dans les conflits d’intérêts des puissances régionales et mondiales dans ce pays préférant principalement de soutenir les forces politiques anti-Assad.[3]
Les Émirats arabes unis sont très préoccupés par le niveau et l’échelle de la radicalisation répandue dans la région et sont intéressés par la coopération avec les pays qui sont prêts à unir les efforts dans ce domaine. Abou Dabi s’est joint à la coalition internationale contre Daesh et elle a même mené plusieurs frappes en Syrie contre les positions de Daesh que tout autre pays excepté les États Unis[4]. Au même moment, la Russie et les Émirats arabes unis considèrent Jabhat al-Nusra et les Frères musulmans comme des groupes terroristes et comme une menace à la gouvernance de l’État laïque au Moyen-Orient[5]. En accord avec la coopération de haut niveau avec la Russie sur la lutte contre les groupes religieux radicaux en Syrie, Abou Dabi a même rétabli les relations diplomatiques avec le gouvernement d’Assad et a r ouvert son ambassade à Damas en décembre 2018[6].
- Libye. La Libye est le deuxième pays où les Émirats arabes unis et la Russie ont des intérêts communs. Une fois de plus au début du conflit dans ce pays, ces deux pays n’étaient pas d’accord sur leurs positions au moins sur le papier. La Russie s’est fermement mise du côté du régime de Mouammar Kadhafi, tandis que les Émirats arabes unis critiquaient ce régime et ont contribué à la campagne aérienne et au mouvement politique contre Kadhafi[7]. Cependant, après la déstabilisation totale de la situation en Libye, la présence largement répandue des groupes radicaux et la chute du gouvernement compétent avec la création de plusieurs centres politiques autonomes et rivaux les uns par rapport aux autres dans différentes parties du pays, Abou Dabi a revu sa politique.
Les Émirats arabes unis ont décidé d’exprimer leur soutien pour le rétablissement d’une règle politique centralisée, la fin du chaos, et combattre les groupes terroristes tels que Daesh et Al-Qaïda[8]. Ceci correspond à la vision de la Russie par rapport à la situation, qui consiste à garantir ses intérêts politique et économique. Les deux pays ont décidé que l’itinéraire menant à la solution finale est de laisser le Maréchal Khalifa Haftar et son armée libyenne nationale prendre le contrôle du pays. Le 7 avril 2019, la Russie a bloqué une déclaration du Conseil de sécurité de l’ONU qui aurait condamné l’attaque de Haftar sur Tripoli[9].
- Yémen. Les Émirats arabes unis et la Russie ont une approche rapprochée sur la situation au Yémen. La propagation de Daesh et Al Quaïda dans la péninsule arabique (AQAP) suite à la déstabilisation de la situation dans le pays a poussé à la fois les Émirats arabes unis et la Russie à coopérer dans la lutte contre ces forces inacceptables au Yémen. Les forces spéciales des Émirats arabes unis ont mené plusieurs raids en collaboration avec ses alliés contre les membres d’Al Quaïda dans les provinces du sud du Yémen et ont conseillé les forces du gouvernement du Yémen à lutter contre les forces[10] terroristes.
Au cours de la visite du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale Abdullah Ben Zayed à Moscou en juin 2019, la question du Yémen a été discutée et le ministre russe des Affaires étrangères a exprimé son soutien à la position des Émirats arabes unis dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme dans la région[11] arabe. Les intérêts historiques de la Russie dans le sud du Yémen correspondent avec les positions et priorités actuelles des Émirats arabes unis. En luttant contre les groupes terroristes au Yémen, Abou Dabi et Moscou souhaitent établir un gouvernement compétent et stable dans ce pays et promouvoir leurs intérêts géostratégiques et économiques dans la péninsule arabique.
Le renforcement de la coopération entre les Émirats arabes unis et la Russie dans la sphère de la lutte contre le terrorisme est devenu l’un des principaux facteurs déterminants du partenariat bilatéral intensifié et diversifié entre les États. La déstabilisation et le chaos, la chute des régimes, l’expansion de l’idéologie radicale et des groupes terroristes actifs, et le besoin ressenti pour l’équilibre du pouvoir parmi les acteurs régionaux et mondiaux au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont consolidé les intérêts d’Abou Dabi et de Moscou dans un alignement. En tout et pour tout, les Émirats arabes unis sont devenus les alliés les plus importants du président russe Vladimir Poutine dans cette partie du monde. Cependant, il existe plusieurs facteurs qui peuvent impacter cette coopération de haut niveau entre ces pays tels que le possible changement de priorités pour ce qui est d’éliminer ou de soutenir certains groupes politiques dans les pays en conflit dans la région du MENA, le rôle des USA dans cette zone en prenant en compte l’état négatif actuel des relations Russo-Américaines, et les possibles aspects des relations stratégiques Russo-iraniennes qui peuvent irriter Abou Dabi, bien qu’à la lumière des mesures prises par les Émirats arabes unis pour apaiser les tensions avec le régime iranien, ce pourrait être un problème moins grave à l’avenir.
Références
[1] Sadiq Shaban. Russian president Vladimir Putin to visit UAE on Tuesday. //Gulf News, 13 Octobre 2019. https://gulfnews.com/uae/russian-president-vladimir-putin-to-visit-uae-on-tuesday-1.67102584
[2] Samuel Ramani. Russia Exploits The Saudi-UAE Divergence. //LobeLog, 25 September 2019. https://lobelog.com/russia-exploits-the-saudi-uae-divergence/
[3] Samuel Ramani. UAE and Russia Find Common Ground on Syria. //Arab Gulf States Institute in Washington, 11 Mars 2019. https://agsiw.org/uae-and-russia-find-common-ground-on-syria/
[4] The United Arab Emirates (UAE): Issues for U.S. Policy. //Congressional Research Service RS21852, 13 Février 2019. https://www.justice.gov/eoir/page/file/1134191/download
[5] Ibid.
[6] Jonathan Fenton-Harvey. Russia and the UAE Seek Greater Mutual Benefits. //Inside Arabia, 8 Novembre 2019. https://insidearabia.com/russia-and-the-uae-seek-greater-mutual-benefits/
[7] The United Arab Emirates (UAE): Issues for U.S. Policy. //Congressional Research Service RS21852, 13 Février 2019. https://www.justice.gov/eoir/page/file/1134191/download
[8] Anwar Gargash. Our solution for Libya. //The National, 19 May 2019. https://www.thenational.ae/opinion/comment/dr-anwar-gargash-our-solution-for-libya-1.863113
[9] Yury Barmin. Russia’s endgame in Libya. //Al Jazeera, 11 Jul 2019. https://www.aljazeera.com/indepth/opinion/russia-strategy-libya-190710070457901.html
[10] Saeed Al-Batati, Eric Schmitt. Thousands of Yemeni Forces Target Qaeda Stronghold. //The New York Times, 6 August 2017. https://www.nytimes.com/2017/08/06/world/middleeast/yemen-qaeda-shabwa-province.html
[11] Jonathan Fenton-Harvey. Russia’s Growing Clout In Southern Yemen. //Lobe Log, 19 August 2019. https://lobelog.com/russias-growing-clout-in-southern-yemen/