Sami Moubayed, historien syrien et professeur d’université. Il est l’auteur de Under the Black Flag: At the Frontier of the New Jihad
Des attentats suicides coordonnés et consécutifs ont été perpétrés dans la bande de Gaza le 28 août 2019 contre deux points de contrôle du Hamas. Le premier a eu lieu à al-Dahdouh, à l’ouest de Gaza, tandis que le second s’est produit à un point de contrôle dans la zone de Sheikh Ajleen, faisant trois morts, tous des policiers. Le Hamas a rétorqué par une répression contre les extrémistes palestiniens, tous suspectés d’appartenir à l’État islamique (EI). On a vite annoncé qu’un des deux kamikazes était un fugitif, notamment le fils d’un haut dirigeant du Hamas qui travaille actuellement avec la branche de l’EI à Gaza.
Un terrain propice à l’extrémisme
Les extrémistes de Gaza ont montré de l’admiration vis-à-vis de l’EI, mais n’ont pas jusqu’à présent, pu prêter allégeance au groupe terroriste international. Mieux connus sous le nom de Brigade du Cheikh Omar Hadid, ils étaient relativement limités et discrets, évoluant dans un premier temps de manière organisée, quelques mois après qu’Abu Bakr al-Baghdadi, calife autoproclamé de l’EI ait annoncé la création de son émirat de Mossoul, dans le nord de l’Irak en juillet 2014. Il a gagné les cœurs et les consciences des extrémistes issus des quatre coins du monde, y compris certains habitants de Gaza.
Gaza accueille différents groupes de réfugiés palestiniens qui avaient fui, en 1948, des villages occupés par des Israéliens. Ils souffraient déjà de nombreux problèmes économiques importants, combinés à un gouvernement du Hamas inefficace, de plus en plus autoritaire et un blocus extrêmement rigoureux imposé par Israël. Les habitants de Gaza vivent dans une extrême pauvreté et certains d’entre eux perçoivent une lueur d’espoir dans le salafisme et la doctrine extrémiste al-Qaïda.
D’après la Banque mondiale, l’économie de la bande de Gaza enregistre une croissance de 0,5 % par an, avec une moitié de la main-d’œuvre étant au chômage. Soixante pour cent des personnes à la recherche d’un emploi viennent à peine d’entamer la vingtaine, ce qui fait d’eux les potentielles recrues des réseaux jihadistes de la région. La pauvreté a atteint son seuil le plus critique à Gaza : près de 80 % de la population sur deux millions d’habitants vivent dans la pauvreté. Des chiffres que démentent les dirigeants du Hamas qui, quant à eux, parlent de 39 % au plus.
Les habitants de cette bande de terre surpeuplée souffrent également de l’accès difficile à l’électricité et à l’eau potable, ce qui selon les Nations Unies, rendra la zone « invivable » d’ici 2020. Depuis que le Hamas s’est avéré incapable de fournir des services de base aux gens, il a commencé à chercher des alternatives encore plus radicales.
Création d’un « Émirat islamique »
Les premiers éléments d’al-Qaïda à Gaza ont émergé en 2009, sous la conduite d’un docteur salafiste du nom d’Abdul Latif Moussa (alias Abdul Latif Moussa). Avant d’être tué par la police du Hamas, il a annoncé depuis la tribune de la mosquée d’Ibn Taymiyah située dans la ville de Rafah, la création du soi-disant « émirat islamique » à Gaza au même titre qu’une milice appelée « Jund Ansar Allah ». Ses sympathisants ou du moins ce qu’il en reste, rejoindront l’EI plus tard en 2015, car ils y entrevoyaient le salut et des promesses. Daesh faisait les grands titres à cette époque, dictant sa loi sur un territoire aussi vaste que la Grande-Bretagne et une population de près de six millions d’habitants et traversant les déserts de Syrie et d’Irak.
Depuis al-Raqqa leur capitale située sur l’Euphrate, Daesh disposait de tous les attributs d’un État souverain, y compris une véritable armée, des services de renseignements hautement compétents, un drapeau, des services publics en état de fonctionner et une trésorerie bourrée d’argent issu du pétrole et du trafic d’antiquités. Des groupes affiliés prenaient forme dans des pays tels que le Nigéria, la Libye, l’Égypte, le Liban et sans réelle surprise, à Gaza.
Il était assez facile pour eux de mener des opérations à Gaza, en se servant du flux régulier d’armes de contrebande venant du Sinaï, où une autre branche de l’EI du nom d’Ansar Beit al-Maqdis opérait déjà. Les armes qui arrivaient chez les djihadistes égyptiens et palestiniens constituaient les restes du combat libyen contre le régime de Muammar Gaddafi, transités par un réseau complexe de près de 1 200 tunnels.
Attirer l’attention d’al-Baghdadi
Pour attirer l’attention d’Abu Bakr al-Baghdadi, les djihadistes palestiniens ont nommé leur groupe après qu’Omar Hadid, un islamiste irakien de la trame d’al-Baghdadi ait été tué en décembre 2004 dans la bataille de Falujah à l’ouest de Bagdad. Hadid avait gagné en notoriété dans sa ville natale à la fin des années 1990 lorsqu’il attaqua des commerces d’alcool, s’en prenant aux bouteilles de vin et de whisky et les versant dans la rue.
Saddam Hussein avait ordonné son assassinat, l’obligeant à se terrer pendant des années jusqu’à sa réapparition comme membre d’al-Qaïda suite à l’invasion de l’Irak en 2003 par les troupes américaines. Hadid est issu de Dulaim une puissante tribu irakienne, ce qui faisait de lui un proche de Saja al-Dulaimi, la troisième épouse d’al-Baghdadi. Ce nom a réussi à attirer l’attention d’al-Baghdadi.
Recrudescence des attaques de la BOH
Au départ, les opérations de la Brigade du Cheikh Omar Hadid (BOH) étaient plutôt peu professionnelles, raison pour laquelle peu de personnes les prenaient au sérieux. Cependant, le groupe a progressivement perfectionné ses attaques en termes de régularité et de portée. Ainsi, fin 2014, un groupe affilié a revendiqué l’attaque du centre culturel français de Gaza sous prétexte qu’il encourageait la musique et le théâtre, deux sujets que l’EI considère comme tabous. En mai 2015, cette même brigade a revendiqué une attaque à la roquette dans la ville d’Ashdod, suivie de deux autres attentats (sans victimes) au nord d’Israël en juin 2015. En 2015, des membres de la BOH ont fait exploser la voiture de Saber Siam, un responsable du Hamas, menaçant même de s’en prendre l’un après l’autre aux autres responsables du Hamas.
Un mois plus tard, ils distribuaient des brochures à Jérusalem-Est occupée, promettant d’assassiner les chrétiens palestiniens. Dernièrement, le Hamas accusait Daesh d’être responsable de la tentative d’assassinat en octobre 2017 de Tawfik Abu Naim, le chef de la sécurité interne de Gaza ainsi que de l’atteinte en mars 2018 à la vie du Premier ministre palestinien Rami Hamdallah.
Attraction des déserteurs du Hamas
BOH était la principale attraction d’un nombre important de déserteurs du Hamas qui reprochaient au groupe palestinien de trop s’impliquer dans la l’administration d’un État défaillant, de courir après des sponsors régionaux et de délaisser son devoir initial, celui de mener une guerre sainte contre Israël. Des mois après la naissance de la BOH en 2015, le Hamas avait joué sur l’idée d’une longue trêve avec Israël, attisant la colère des extrémistes parmi ses rangs.
Le Hamas a tenté de contenir le problème de la jeunesse extrémiste en détournant ceux qui ont rejoint son aile militaire, la brigade Izz al-Din al-Qassam, vers la police. Mais c’étaient des hommes qui voulaient être des martyrs et les indemnisations irrégulières des institutions de l’État du Hamas n’ont fait qu’accélérer le rythme des défections. C’était particulièrement vrai après que l’argent iranien ait cessé d’entrer dans Gaza, à la lumière des dépenses davantage pressantes sur les champs de bataille syrienne. L’EI a promis de corriger les échecs du Hamas, affirmant que son objectif ultime était de rayer Israël de la carte et d’instaurer un gouvernement islamique dirigé par la charia à Gaza. « Nous serons comme une épine dans le pied du Hamas, » précisa Abu Ayna Ansari, porte-parole de la brigade, « … et une épine dans le pied d’Israël.»
Une menace dangereuse
La forte concentration des transfuges du Hamas a fait de la BOH une menace particulièrement dangereuse pour le Hamas. Ces hommes maîtrisaient les itinéraires des tunnels secrets du Hamas, tout comme l’ensemble de leurs caches d’armes. Mohammad Dajni, le fils de Anwar Dajni, commandant du Hamas était un important transfuge en charge des « cas blessés » à Gaza. En janvier 2018, il a exécuté un camarade palestinien pour contrebande d’armes à la Brigade Izz al-Din al-Qassam, la branche armée du Hamas. Plus tôt, Sheikh Abu Saleh Tuha, un commandant du Hamas en Syrie fut décapité par l’EI dans le camp de Yarmouk, près de Damas après que l’organisation terroriste eut envahi les locaux lors des batailles complexes du conflit syrien.
Il ne fait aucun doute que les tendances salafistes et djihadistes existent à Gaza, pas plus que le dégoût général envers le Hamas. Il est difficile de savoir si ISIS constitue une menace aussi importante que le prétend le Hamas, mais si c’est le cas, les experts pensent qu’il est probable que ce dernier renversera finalement le gouvernement du Hamas.
La simple existence de groupes tels que BOH est d’une grande importance dans les cercles du Hamas, tout simplement parce qu’ils font appel à la même circonscription électorale que le Hamas se targue de représenter, à savoir les musulmans sunnites de la Palestine et du monde arabe. Les deux s’efforcent de créer un État islamique et de détruire Israël. La seule différence est que, bien que le Hamas ait été testé une fois parvenu à gouverner la bande de Gaza — et qu’il se soit avéré être un échec répété —, les autres groupes salafistes restent plutôt attractifs, promettant de réparer tous les torts du Hamas et d’offrir une vie meilleure aux Palestiniens. Faute de meilleures alternatives à Gaza, les gens les rejoignent.
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