Paul Iddon
Il se raconte que les chaînes d’information continue Al-Jazeera English (AJE) et Al-Jazeera Arabic (AJA) diffèrent dans leur manière de rendre compte des évènements. La deuxième est antiaméricaine et excelle dans l’art de la théorie du complot, tandis que la première, plus respectueuse ne saurait se lancer dans de telles pratiques. La version arabe « reflète généralement les intérêts du Qatar » alors que celle anglaise a une vision plus internationale de l’actualité ». [1] Cette différence a été établie après qu’une vidéo négationniste et sous-titrée ait été diffusée sur les antennes d’AJA. Ainsi, on pouvait y lire : « Quelle est la vérité qui se cache derrière l’Holocauste et comment est-ce que les sionistes s’en sont-ils servis ? » [2]. Les auteurs de cette vidéo controversée ont certes été arrêtés, mais de tels contenus antisémites n’auraient jamais été diffusés sur AJE.
Tel n’est pas le cas des médias turcs actuels. Les tabloïds turcs, à l’instar du célèbre pro-gouvernemental et ultra nationaliste Yeni Şafak, publient régulièrement des informations hostiles à l’Amérique, à Israël et à l’Europe, aussi bien en langue turque qu’en anglais. Ceci étant, cette presse pro-gouvernementale à la fois saugrenue, conspiratrice, odieuse et au contenu révélateur, est accessible à tout le monde.
Incitation
L’anti-américanisme prend des proportions inquiétantes dans la presse turque. Les USA sont régulièrement considérés comme un assaillant au Moyen-Orient et un ennemi diabolique en Turquie. Le tabloïd susmentionné, Yeni Şafak, use de termes tels que « le complot sioniste » pour qualifier les USA et Israël ainsi que leurs actions dans la région. On peut lire qu’il s’agit là des principales parties prenantes d’une grande conspiration en vue de désosser, mieux, partitionner la Turquie et détruire la Nation tout entière. [3]
İbrahim Karagül, rédacteur pour le journal Yeni Şafak illustre parfaitement ce point de vue dans une colonne. Ainsi, en février 2019, alors qu’on supputait encore sur un renfort des forces européennes à celles américaines en petit nombre en Syrie, Karagül ne s’est pas gardé d’affirmer qu’il s’agissait d’une grande conspiration en vue d’assiéger, diviser et détruire la Turquie, cent ans après le Traité de Sèvres. « Tous ceux qui jadis étaient contre nous il y a de cela un siècle rejoignent la lutte, » affirme-t-il. [4]
En voilà donc un exemple, aussi extrême soit-il, du syndrome de Sèvres ; celui d’une guerre qui n’en finit pas et selon laquelle les nations d’Europe de l’Ouest essaieraient une fois de plus de diviser la Turquie et de faire appliquer le Traité de Sèvres qui avait pourtant été annulé en 1923. Cette vision est d’ailleurs très bien détaillée dans la presse publique. Karagül affirme souvent qu’Ankara devrait s’étendre militairement au-delà de ses frontières pour mieux se défendre, soutenant que « la ligne défensive turque n’est en aucun cas le point zéro de notre frontière. En réalité, elle représente la région tout entière. » D’ailleurs, Ahmet Davutoglu, l’ex-Premier ministre turc partageait ce point de vue lorsqu’il affirmait début 2016 que la « zone de sécurité » turque s’étend d’Alep en Syrie jusqu’à Sulaymani, au Kurdistan irakien. [5]
Karagül fait régulièrement de telles déclarations dans son journal. Il considère les USA comme « un pays ennemi » qui représente « une sérieuse menace pour l’existence, l’unité, l’intégrité, le présent et l’avenir de notre pays. » Il affirme aussi de manière fréquente que les USA étaient derrière le coup d’État manqué du 15 juillet 2016. Il est allé jusqu’à proposer que les forces américaines soient expulsés de la base aérienne ô combien stratégique d’Incirlik, dans la province d’Adana au nord-est de la Turquie. « Le PKK (le Parti des Travailleurs du Kurdistan) et Daesh (État Islamique) sont contrôlés depuis cette base, » a-t-il écrit, « tout comme les attentats du 15 juillet [2016]. Suite à ces évènements, nous pouvons dire que toute présence militaire américaine dans notre pays sur nos terres est une menace pour la Turquie. » Karagül ajoutera également que : « Si nous n’agissons pas de la sorte, le moment viendra où des milliers d’individus encercleront et assiègeront la base d’Incirlik. Il sera alors impossible de les empêcher d’intervenir auprès des forces militaires étrangères, car cette colère sera alors devenue insupportable ». [6]
De telles menaces voilées sont devenues monnaie courante dans la presse publique. Un des commentateurs pro-turcs avait même fait allusion au fait que les USA expérimenteront un autre 11 septembre s’ils continuent à traiter la Turquie de la sorte. « Fort est de constater que si les tensions avec les USA continuent de s’intensifier, un autre 11 septembre risquerait de se produire, » affirme Abdurrahman Dilipak dans les colonnes de Yeni Akit, un quotidien de tendance islamiste à capitaux publics. [7] Cette publication n’est pas la première du genre. Ainsi, en 2013, le même tabloïd condamnait les manifestations de Gezi Park contre l’administration Erdoğan qui, selon ce tabloïd, agissait en la matière contre les « barons juifs ». Le journal avait d’ailleurs publié une photo d’Hitler dans des mots croisés, avec pour réponse : « Tu nous manques ». [8]
Karagül aurait également affirmé que les USA sont impliqués dans une machination à long terme visant à détruire le Moyen-Orient, y compris les villes les plus sacrées de l’islam telles que la Mecque et Médine. Comme c’est le cas dans la plupart de ses articles, Karagül ne fournit pas la moindre once de preuve pour justifier ses allégations. Il est clair que son objectif est de peindre les USA et leurs alliés comme des ennemis de l’islam, pour ensuite inciter les musulmans à perpétrer des attaques violentes contre les intérêts américains. Il s’agit d’un cas évident d’incitation à la violence, notamment lorsqu’il appelle des « millions » de musulmans à « envahir les rues » et à « jouer les trouble-fêtes ». [9]
Ces allégations ne sont pas celles d’un groupe de terroristes conspirateurs, encore moins celles de fanatiques, mais celles de journalistes qui jouissent d’une impunité totale. En Turquie, l’environnement médiatique est tel que le pays détient le record du monde en termes de journalistes emprisonnés.[10] Cette contradiction s’explique simplement par le fait que Karagül et ses semblables ont reçu le feu vert d’Erdoğan et de son Parti de la Justice et du Développement (AKP).
Lors du référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien en septembre 2017, la presse turque évoquait une série de complots antisémites, visant ainsi à aider l’administration Erdoğan à saboter ce référendum. Ainsi, les tabloïds turcs affirmaient que 200 000 juifs israéliens d’origine kurde allaient être déportés au Kurdistan irakien après le vote, comme le prévoyait – selon eux – un supposé accord entre le leader kurde Masoud Barzani et le gouvernement israélien. Israël était le seul pays au monde à se prononcer en faveur de l’indépendance du Kurdistan irakien.
S’agissant du référendum, le président Erdoğan lui-même avait parlé de conspirations antisémites. Il contestait la présence du philosophe français Benard-Henri Levy et de l’ancien ministre français des Affaires Étrangères, Bernard Kouchner, au Kurdistan auprès de Barzani. Lors des meetings avec le président iranien Hasan Rouhani et le guide suprême Ayatollah Ali Khamenei, Erdoğan a martelé le fait que le référendum était une conspiration majeure, fomentée, selon lui, par les services secrets israélites, présentant comme preuve la simple présence au Kurdistan irakien de Levy et de Kouchner. [12]
Parallèlement, Yeni Şafak essayait de soutenir la théorie du complot prônée par les responsables de l’AKP, insistant sur le fait que Barzani était en faveur de la création de l’État Islamique, qui selon eux était l’œuvre des USA et Israël pour nuire à la Turquie. Curieusement, il citait comme preuve un document des services secrets irakiens datant de l’administration Saddam Hussein. Ledit document et le tabloïd turc faisaient de Levy une partie prenante de la conspiration. « Levy qui déclare à qui veut l’entendre qu’il est juif est l’un des artisans du référendum illégal qui s’est tenu dans le nord de l’Irak, » expliquait l’article qui affirmait par ricochet que la foi de Levy était une preuve de sa conspiration. [13] Ce quotidien turc à tendance islamiste avait également publié des caricatures de Barzani sous forme de pion d’Israël. Quant à l’État hébreux, il a été représenté par la plus primitive des caricatures juives. [14]
La doctrine antisémite a longtemps été partagée par Erdoğan, et la Turquie est une destination de moins en moins fiable, du fait de sa minorité juive constamment menacée. Erdoğan et son porte-parole médiatique ont récemment affirmé que l’investisseur George Soros soutenait Osman Kavala, un « financier du terrorisme ». Le président turc le tenait également pour responsable des manifestations de 2013 à Gezi Park. En réalité, Kavala n’est rien d’autre qu’un homme d’affaires et un philanthrope. Le président turc a également martelé que « Soros, le célèbre juif hongrois » est « un homme qui exhorte le peuple à diviser la nation et à la détruire. C’est dans de telles manigances qu’il dépense son argent. » L’usage de tels discours populistes par Erdoğan et les médias publics a également entraîné le récent déclin économique de la Turquie. [15]
Conformisme et conduite du parti
Près de 90% des médias en Turquie sont publics, et la grande majorité est contrôlée par des individus ou des organisations fidèles au gouvernement de l’AKP. Pour des raisons d’ordre pratique, les médias privés ont été écartés. Début 2018, la société turque Demirören Holding a acheté le conglomérat de médias Doğan. Par conséquent, l’actuel diffuseur privé CNN Türk et le très respecté tabloïd Hurriyet Daily News ont été phagocytés par le conglomérat pro-Erdoğan. Lors des dernières élections législatives de juillet 2018, les organes de presse pro-Erdoğan se sont consacrés aux évènements du régime, tout en ignorant et fustigeant l’opposition. Dans un cas, CNN Türk retransmet en direct une partie du discours d’une figure de l’opposition lors des élections locales d’Istanbul, pour plus tard soumettre cet extrait à la critique du président Erdoğan. [16]
Tous les médias turcs pro-gouvernementaux n’emploient pas le même ton que Yeni Şafak. À l’autre extrémité de l’échiquier politique se trouve l’incitation belliqueuse de Karagül. Il y a donc davantage d’articles publiés, dans des tabloïds comme Anadolu Agency et Daily Saba. Anadolu couvre premièrement ce que Erdoğan dit et fait, ensuite le diffuse sous forme de communiqués de presse de la présidence. Daily Saba s’y prend de la même manière et cherche à contester les critiques du gouvernement turc, bien que son raisonnement soit moins conspirant et paranoïaque que celui de Karagül.
Ces tabloïds véhiculent aussi des fausses informations pour renforcer la version du gouvernement. Par exemple, la Turquie avait envahi l’enclave d’Afrin au nord de la Syrie en 2018, lors d’une opération militaire visant à libérer la zone contrôlée par l’Unité de Protection du Peuple (YPG), branche syrienne du PKK. Durant cette opération, le YPG, tout comme Anadolu et Daily Saba, ont affirmé que l’armée turque faisait face aux combattants de l’État Islamique (EI), aux côtés du YPG/PKK. [17] Aucune preuve quelle qu’elle soit ne justifiait ces allégations. Et compte tenu du fait que le YPG et l’EI sont des ennemis mortels, il était difficile d’expliquer le rôle de l’EI dans cette enclave.
L’impression que ces points de vente essayent de susciter concernant les actions de la Turquie en Syrie est un bon exemple de la couverture médiatique que ces médias turcs offrent, même lorsqu’ils ne trafiquent pas techniquement l’information. Ainsi, l’occupation turque des deux enclaves situées au nord d’Alep, notamment la soi-disant opération du bouclier de l’Euphrate à l’Est, et Afrin à l’Ouest, est largement présentée comme étant une initiative bénévole et humanitaire chaleureusement accueillie par les frères syriens de Turquie. Il est important de noter que beaucoup de Syriens voient d’un bon œil l’arrivée de la Turquie, notamment dans l’Euphrate sous contrôle de l’EI. Il faudrait aussi reconnaitre que la Turquie a fait des efforts considérables en termes humanitaire et infrastrurel. [18] Mais rien n’étant vraiment parfait, on se demande pourquoi la lumière n’a toujours pas été faite sur les aspects négatifs des actions turques ainsi que sur le comportement des intermédiaires arabes qui pourtant auraient suscité des mécontentements. [19]
La situation est plus complexe en Afrin qu’à l’Euphrate. Pendant l’incursion turque dans cette ville syrienne, les tabloïds turcs comme Yeni Şafak se sont focalisés sur la prétendue présence turque en terre d’Afrin, l’assimilant à une libération du joug du terrorisme. L’une des histoires les plus émouvantes est celle d’une enfant d’Afrin qui a retrouvé sa chèvre grâce à cette opération. [20] Ce sur quoi l’attention n’a pas été portée est le déplacement, suite à l’incursion turque, de 100 000 Kurdes dans cette zone majoritairement peuplée de Kurdes.
Ces Kurdes qui quittent Afrin n’ont pas été autorisés à regagner leur ville, surtout maintenant que la ville est contrôlée par des milices turques composées d’islamistes d’une part et de criminels d’autre part. [21] Les abus perpétrés contre les civils par les milices qui pratiquent la « détention arbitraire, la disparition forcée, la confiscation des propriétés et le pillage ne sont pas punis par les forces armées turques » [22], auxquels on ne fait jamais allusion dans la presse publique.
Les déplacés kurdes n’ont pas été autorisés à rentrer chez eux. Les Arabes, déplacés de quelque part en Syrie, notamment de la Ghouta orientale se sont installés à Afrin, concrétisant ainsi la promesse d’Erdoğan selon laquelle la région reviendra à ses « propriétaires légitimes ». C’est-à-dire aux populations qui acceptent la présence turque dans cette ville kurde. La presse turque s’attarde sur l’aspect humanitaire de la Turquie, ce qui permet aux Syriens déplacés du fait de la brutalité de régime de Bashar al-Assad de s’établir à Afrin, sans tenir compte des objectifs géostratégiques que cela implique.
En revanche, la presse turque est vraiment sensible aux abus que subissent les musulmans. Lors de l’Aïd al-Fitr de cette année (2019), la chaîne de télévision pro-AKP (CNN Türk) a diffusé une vidéo dans laquelle des musulmans sont battus par des hindous en Inde. Dénoncer de tels abus est certes totalement légitime, mais il est inadmissible, comme l’a souligné le journaliste turc Ilhan Tanir, que des vidéos pareilles de Kurdes à Afrin, battus par des groupes turcs soient tolérées. [23]
Les efforts que la presse turque consent pour libérer le gouvernement de l’embarras où il se trouve peuvent être sombres et comiques. Par exemple, CNN Türk est devenue ridicule, pour avoir ignoré les manifestations de Gezi Park et avoir diffusé à la place un documentaire sur les pingouins ! Plus d’un an plus tard, lorsque les Kurdes manifestaient contre l’inaction d’Ankara vis-à-vis de l’EI dans la ville de Kobani, la chaîne a cette fois-ci diffusé une émission sur les abeilles ! [24]
Précédents
Les mouvements contemporains emprunts de sentiments anti-américain et anti-israélien remontent à 2003. Depuis lors, de nombreux évènements ont renforcé et propagé cette tendance.
En effet, le parlement turc, reflétant la volonté du peuple, a décidé au dernier moment de ne pas participer à l’invasion de l’Irak en mars 2003, conduite par les USA, et ce en dépit des efforts déployés par Erdoğan pour inciter les députés à voter l’envoi de soldats turcs. En juillet 2003, les Turcs étaient en colère, car des membres de leurs forces spéciales basées au Kurdistan irakien (lieu où ces dernieères auraient comploté pour déstabiliser la région, un prétexte pour la Turquie d’intervenir) avaient été arrêtés par des soldats américains stationnés en Irak et pris en photo, poings liés et visages cagoulés, avant d’être relâchés. Cet incident est resté dans la mémoire des Turcs, et était considéré comme une humiliation nationale grave. Les tabloïds turcs qualifient les forces américaines de « Rambo » et d’« Américains hideux ». [25] Depuis lors, l’évènement est connu sous le nom de Hood event (Çuval Olayı). Alors que la présence américaine s’éternise en Irak et que les morts s’empilent côté civil, l’opinion publique turque est devenue très hostile vis-à-vis des Américains.
Le sentiment anti-américain était donc attisé par la diffusion d’images montrant des victimes civiles irakiennes et truques suite à des attaques perpétrés en Turquie par des membres du PKK qui se repliaient au nord de l’Irak. Les Américains étaient donc perçus comme ne faisant pas assez pour réprimer le PKK dans le nord de l’Irak qui, grâce à l’invasion américaine, disposait d’espace pour recommencer une guerre contre la Turquie en 2004. Le choix des USA de faire de YPG, (branche syrienne du PKK) un partenaire de lutte contre l’EI en 2014 n’a fait qu’attiser les tensions avec les Turcs. Ainsi, le problème de YPG continue d’être l’un des plus grands sujets de discorde entre la Turquie et les USA. Il ne se passe quasiment pas de jour sans que la presse turque ne rappelle à ses lecteurs que les USA soutiennent « le terrorisme en Syrie ». [26]
Le sentiment populaire des Turcs par rapport à Israël (avec qui Ankara entretenait pourtant de bonnes relations depuis des décennies) a progressivement entraîné le conflit de Gaza entre Israël et le Hamas, de 2008 à 2009. Erdoğan avait copieusement réprimandé le président israélien Shimon Peres au forum de Davos qui s’est tenu en 2009 et qui traitait de cette guerre. Les relations ont donc connu une détérioration historique après que les commandos israéliens aient pris le contrôle du navire turc Mavi Marmara, qui faisait partie d’une flottille humanitaire et qui tentait de rompre le blocus israélien à Gaza, faisant au passage de nombreux morts parmi les occupants de ce navire. Près d’une décennie plus tard, les relations entre ces deux pays ne sont toujours pas au beau fixe. Et pour cause, Erdoğan et le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu continuent de se proférer des injures. [27]
La montée des sentiments antiaméricains et antisémites pourrait s’expliquer par la culture de la pop.
En 2004, un roman turc intitulé Metal Stormest est devenu populaire en Turquie. L’intrigue nous parle d’une invasion ratée de la Turquie par les USA qui seront d’ailleurs défaits par la résistance turque et d’autres puissances exogènes. Quelque part dans ce roman, un agent turc parvient même à détruire Washington D.C. avec une arme nucléaire, tuant par ricochet des millions de personnes. Bien que le livre soit « clairement vendu comme une fiction », ses prémisses restent néanmoins « ancrées dans le discours public turc de telle manière qu’on a du mal à distinguer la fiction de la réalité. » Le roman aurait été lu au préalable par le ministère turc des Affaires Étrangères et les membres de son cabinet. [28]
Le film turc de 2006 la Valée des Loups-L’Irak est sur le point de venger les commandos turcs ayant infiltré le Kurdistan irakien. Le film décrit les soldats américains comme des bouchers froids, dotés d’une moustache et responsables de la mort des civils irakiens. Un soldat juif américain décrit par Gary Busey récoltait des organes d’Irakiens : des allégations purement antisémites. Ce fut le film le plus onéreux jamais réalisé en Turquie à cette époque, et surtout l’un des plus populaires. [29] La Valée des Loups-La Palestine (sorti en 2011) suit la même intrigue, juste que cette fois les vilains sont les commandos israéliens, impliqués dans le raid de Mavi Marmara. [30]
Les films Metal Storm et les deux variantes de La Valée des Loups (Irak et Palestine) nous montrent sans doute à quel point les Turcs sont influencés par le discours des médias turcs pro-gouvernementaux, notamment en lien avec les incidents qui se sont passés respectivement en Irak et à Gaza. Tout en décriant des faits réels, ces films demeurent des fictions. Aujourd’hui par contre, la presse turque continue de verser dans la théorie du complot. Elle cherche également à détourner la réalité et à promouvoir une vision du monde islamiste qui pourrait avoir des répercussions au-delà même des frontières turques.
Conclusion
Pris ensemble, ces différents exemples attestent que la Turquie est en train de devenir l’un des principaux foyers du discours extrémiste. Étant donné que la Turquie est l’un des pays de la région qui dispose d’un soft-power culturel de plus en plus rayonnant, l’influence culturelle qu’elle exerce sur le monde arabe (via les séries télévisées) et sa diaspora en Europe et aux Etats-Unis, de tels discours pourraient négativement affecter les pays du Moyen-Orient, d’Europe et au-delà. L’Arabie Saoudite était jadis considérée comme le principal véhicule de l’islamisme radical à travers le monde. [31] Mais heureusement, la monarchie saoudienne est en passe de prendre le dessus sur l’islamisme, tandis que la Turquie abrite des mouvements comme celui des Frères musulmans, répandus hors d’Égypte suite au coup d’État de 2013 et qui bénéficie d’une plateforme de diffusions. [32] Cette tendance inquiétante apparaît au grand jour. Vu que les pays européens ont toujours voulu juguler le problème que pose Al-Jazeera et ses relations étroites avec le Qatar [33], le même problème se posera aussi entre la Turquie et les autres pays d’Europe.
*European Eye on Radicalization vise à publier une diversité de points de vue et, à ce titre, n’endosse pas les opinions exprimées par les auteurs. Les opinions exprimées dans cet article ne représentent que l’auteur.
Réferences
[1] David Pollock, Aljazeera: One Organization, Two Messages, The Washington Institute for Near East Policy, April 28, 2011, accessible sur: https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/aljazeera-one-organization-two-messages
One Organization, Two Messages, The Washington Institute for Near East Policy, April 28, 2011, accessible sur: https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/aljazeera-one-organization-two-messages
[3] Tamer Korkmaz, From where are the plans of the Crusader-Zionist alliance running?, Yeni Şafak, October 3, 2017, accessible sur: https://www.yenisafak.com/en/columns/tamerkorkmaz/from-where-are-the-plans-of-the-crusader-zionist-alliance-running-2040135
[4] İbrahim Karagül, Seven countries will deploy troops to east of the Euphrates… Turkey will be sieged once more after a century… The situation is urgent, dire. The Syria intervention must be made immediately, or it won’t be possible ever again!, Yeni Şafak, February 9, 2019, accessible sur: https://www.yenisafak.com/en/columns/ibrahimkaragul/seven-countries-will-deploy-troops-to-east-of-the-euphrates-turkey-will-be-sieged-once-more-after-a-century-the-situation-is-urgent-dire-the-syria-intervention-must-be-made-immediately-or-it-wont-be-possible-ever-again-2046916
[5] Zhelwan Z. Wali, Davutoglu: Turkey’s security zone extends to Mosul and Sulaimani, Rudaw, March 29, 2016, accessible sur: http://www.rudaw.net/english/middleeast/turkey/29032016
[6] İbrahim Karagül, US is the enemy for Turkey. One day thousands of people will siege Incirlik as well, Yeni Şafak, January 26, 2018, accessible sur: https://www.yenisafak.com/en/columns/ibrahimkaragul/us-is-the-enemy-for-turkey-one-day-thousands-of-people-will-siege-incirlik-as-well-2042300
[7] Shameful Anti-Semitism From Yeni Akit Newspapers, Aydınlık Daily, July 20, 2014, accessible sur: https://web.archive.org/web/20141129025032/http://www.aydinlikdaily.com/Detail/Shameful-AntiSemitism-From-Yeni-Akit-Newspaper/3983
[8] Turkish columnist appears to threaten new 9/11, Ahval News, August 9, 2018, accessible sur: https://ahvalnews.com/september-11/turkish-columnist-appears-threaten-new-911
[9] İbrahim Karagül, They’re preparing a doomsday war… Protect Turkey!, Yeni Şafak, December 6, 2017, accessible sur: https://www.yenisafak.com/en/columns/ibrahimkaragul/theyre-preparing-a-doomsday-war-protect-turkey-2040236
[10] For 3rd straight year, Turkey jailed more journalists than any other country: Report, ABC News, December 13, 2018, accessible sur: https://abcnews.go.com/International/3rd-straight-year-turkey-jailed-journalists-country-report/story?id=59791362
[11] Barin Kayaoglu, 200,000 Jewish Kurds headed for Iraqi Kurdistan, howls Turkish press, Al-Monitor, September 13, 2017, accessible sur: https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2017/09/jewish-israeli-kurds-bound-for-krg-after-referendum.html
[12] Ari Khalidi, Erdoğan continues to blame ‘the Jew’ for Kurdistan referendum, Kurdistan 24, October 5, 2017, accessible sur: https://www.kurdistan24.net/en/news/0e56db7d-9995-41c3-bea3-0702de5c1d87
[13] Barzani supports Daesh established by US, Israel, Yeni Şafak, October 5, 2017, accessible sur: https://www.yenisafak.com/en/world/barzani-supports-daesh-established-by-us-israel-2795120
[14] Nicholas Danforth, @NicholasDanfort tweet, September 28, 2017, accessible sur: https://twitter.com/nicholasdanfort/status/913381270096400384
[15] Aykan Erdemir and John Lechner, Erdoğan’s Anti-Semitism Will Sink Turkey’s Economy, Foreign Policy, December 24, 2018, accessible sur: https://foreignpolicy.com/2018/12/24/erdogans-anti-semitism-will-sink-turkeys-economy/
[16] Ilhan Tanir, CNN says it will train CNN Turk in objective journalism – too little too late?, Ahval News, March 10, 2019, accessible sur: https://ahvalnews-com.cdn.ampproject.org/c/s/ahvalnews.com/node/44320?amp
[17] Operation Olive Branch launched in Syria’s Afrin to clear PKK, Daesh, Turkish military says, Daily Sabah, January 20, 2018, accessible sur: https://www.dailysabah.com/war-on-terror/2018/01/20/operation-olive-branch-launched-in-syrias-afrin-to-clear-pkk-daesh-turkish-military-says
[18] Paul Iddon, Turkey consolidates presence in northern Syria, The New Arab, September 19, 2018, accessible sur: https://www.alaraby.co.uk/english/indepth/2018/9/20/turkey-consolidates-presence-in-northern-syria
[19] MEE correspondent, Al – Bab patience with Turkey wears thin after rebel lawlessness, Middle East Eye, May 17, 2018, accessible sur: https://www.middleeasteye.net/news/al-babs-patience-turkey-wears-thin-after-rebel-lawlessness
[20] Turkey’s Afrin op returns residents home, reunites little girl with goat, Yeni Şafak, February 26, 2018, accessible sur: https://www.yenisafak.com/en/world/turkeys-afrin-op-returns-residents-home-reunites-little-girl-with-goat-3135503
[21] David Meseguer, Stranded between Syria’s frontlines, Afrin’s Yazidis yearn for lost homelands, Middle East Eye, October 6, 2018, accessible sur: https://www.middleeasteye.net/news/stranded-between-syrias-frontlines-afrins-yazidis-yearn-lost-homelands
[22] Syria: Turkey must stop serious violations by allied groups and its own forces in Afrin, Amnesty International, August 2, 2018, accessible sur: https://www.amnesty.org/en/latest/news/2018/08/syria-turkey-must-stop-serious-violations-by-allied-groups-and-its-own-forces-in-afrin/
[23] Ilhan Tanir, @WashingtonPoint tweet, June 4, 2019, accessible sur: https://twitter.com/WashingtonPoint/status/1135947672689528832
[24] Patrick Cockburn, Isis in Kobani: Turkey ignores Kurdish fury as militants close in on capturing the town, The Independent, October 9, 2014, accessible sur: https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/isis-in-kobani-turkey-ignores-kurdish-fury-as-militants-close-in-on-capturing-the-town-9785903.html
[25] Michael Howard and Suzanne Goldenberg, US arrest of soldiers infuriates Turkey, The Guardian, July 8, 2003, accessible sur: https://www.theguardian.com/world/2003/jul/08/turkey.michaelhoward
[26] Levent Tok and Adham Kako, US continuing support for terrorist YPG/PKK in Syria, Anadolu Agency, April 10, 2019, accessible sur: https://www.aa.com.tr/en/americas/us-continuing-support-for-terrorist-ypg-pkk-in-syria/1448320
[27] Netanyahu hits back at ‘Turkey’s dictator Erdoğan’, AFP, March 13, 2019, accessible sur: https://news.yahoo.com/netanyahu-hits-back-turkeys-dictator-erdogan-072330599.html
[28] Yigal Schleifer, Sure it’s fiction. But many Turks see fact in anti-US novel, Christian Science Monitor, February 15, 2005, accessible sur: https://web.archive.org/web/20050215073116/http://www.csmonitor.com/2005/0215/p01s04-woeu.html
[29] ‘Anti-Semitic’ Turkish Blockbuster Denied Release in Germany, Spiegel Online, January 26, 2011, accessible sur: https://www.spiegel.de/international/germany/valley-of-the-wolves-controversy-anti-semitic-turkish-blockbuster-denied-release-in-germany-a-741780.html
[30] Sebnem Arsu, New Film Disrupts Turkey’s Holocaust Day, The New York Times, January 27, 2011, accessible sur: https://www.nytimes.com/2011/01/28/world/europe/28turkey.html
[31] Dore Gold, Hatred’s Kingdom: How Saudi Arabia Supports the New Global Terrorism, 2003, Regnery Publishing.
[32] Martin Chulov, Israeli government moves to impose ban on al-Jazeera news network, The Guardian, August 6, 2017, accessible sur: https://www.theguardian.com/world/2017/aug/06/israeli-government-impose-ban-al-jazeera-news-network; Josh Gerstein, Lawmakers push for Al Jazeera to register as foreign agent, Politico, March 5, 2018, accessible at: https://www.politico.com/story/2018/03/05/al-jazeera-press-foreign-agent-437072
[33] Yotam Feldner, Muslim Brotherhood TV channels, a hotbed of extremism, Jewish News Syndicate, January 9, 2019, accessible sur: https://www.jns.org/39412-2/