
Arie W. Kruglanski est un éminent professeur à l’Université du Maryland. En tant que psychologue social, ses recherches sont axées sur la façon dont les personnes forment leurs jugements, croyances, impressions et attitudes. Sa dernière publication en date est The Radical’s Journey : How German Neo-Nazis Voyaged to the Edge and Back (2019).
Compte tenu de la vaste expertise du Dr Kruglanski et la thématique variée de ses recherches, European Eye on Radicalization, dans le cadre de son entretient avec lui a exploré plusieurs sujets.
Q. Votre dernier ouvrage The Radical’s Journey : How German Neo-Nazis Voyaged to the Edge and Back, traite de l’extrémisme de droite en s’appuyant sur une analyse empirique. Quelles sont les principales caractéristiques que l’on peut retrouver dans les voies de radicalisation qu’empruntent les extrémistes de droite.
R. L’aspect le plus intéressant de la radicalisation des extrémistes de droite est que ses caractéristiques fondamentales sont similaires à celles des terroristes islamistes et autres. Comme nous le précisons dans le livre, ces processus de radicalisation sont propulsés par une convergence de trois facteurs : Besoin individuels (en termes d’importance), exposition à une rhétorique qui indique la voie à suivre pour satisfaire ses besoins, notamment en combattant un quelconque ennemi (par exemple les immigrants musulmans, juifs, homosexuels), le soutien et la validation par le biais d’un réseau (par exemple, un groupe de camarades, d’amis ou de membres de la famille) qui épouse le récit et récompense ceux qui appliquent ce récit, c’est-à-dire qui exercent de la violence sur l’ennemi présumé.
La situation spécifique des extrémistes de droite diverge de celle d’autres extrémistes violents. Par exemple, ils peuvent avoir été intimidés à l’école ou maltraités à la maison, ce qui aurait aiguisé leur soif d’importance. Le lieu où ils rencontrent le récit peut aussi être unique, par exemple, lors des concerts de musique punk ou dans des dojos mixtes d’arts martiaux. Leur ennemi spécifique diffère également des ennemis présumés des terroristes islamistes (par exemple les immigrants, les réfugiés, les juifs). En outre, la dynamique fondamentale résumée dans notre modèle N (Needs, Narratives et Networks en français Besoin, Récits et Réseaux) s’applique à différents types d’extrémismes violents. (Confère notre dernier ouvrage « The Three Pillars of Radicalization: Needs, Narratives and Networks’ également publié par Oxford University Press, 2019.
Q. Envisagez-vous de poursuivre vos recherches sur cette forme particulière d’extrémisme?
R. Bien sûr, je compte poursuivre mes recherches dans ce sens, mais aussi sur d’autres types d’extrémisme.
Q. European Eye on Radicalization prête une attention particulière aux divergences et similitudes qui existent entre les différentes formes d’extrémisme. En particulier, nous faisons une analogie entre jihadisme et extrémisme de droite. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
A. Très bonne question. J’y ai déjà apporté une réponse (confère question 1).
Q. Vous avez mené des recherches sur ce que vous appelez « psychologie de la prépossession ». Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?
R. Oui, j’ai hâte de vous en parler. D’après mon modèle théorique, la même dynamique fondamentale s’opère dans tous les différents types d’extrémisme. Il ne s’agit pas seulement des extrémismes violents néonazis et islamistes, mais aussi d’autres types d’extrémismes tels que le sport extrême, des régimes alimentaires extrêmes, un engouement extrême (pouvant mener au harcèlement), une variété d’addictions comportementales telles qu’être accro au travail, dépendre de la drogue, internet, des jeux vidéo et même du shopping.
La dynamique psychologique fondamentale de tout type d’extrémisme est telle qu’un besoin donné est si dominant qu’il supprime d’autres besoins et libère le comportement de ses contraintes. Par conséquent, tout ce qui résout le problème principal est permis. Il s’agit là d’une psychologie de la prépossession dans laquelle une personne cherche à satisfaire son besoin dominant, tout en sacrifiant les autres préoccupations, tel que vous le voyez chez les dépendants et les extrémistes violents.
Q. En tant qu’un des experts les plus éminents sur le terrain, que pensez-vous de l’actuel statut des études en matière de terrorisme et que faudrait-il améliorer ?
R. À mon avis, le terrain est trop fragmenté et la recherche est très localisée et divisée. Nous avons besoin de conceptions générales qui fonctionnent. Notre modèle des trois N est une tentative de fournir un tel cadre d’organisation qui non seulement expliquerait de nombreux cas d’extrémisme violent apparemment sans lien entre eux, mais aussi contiendrait des lignes directrices pour la prévention et le renversement de l’extrémisme lorsque ses conséquences semblent périlleuses et pernicieuses. Le prochain défi consiste à traduire le modèle des trois N en un programme spécifique de contre-radicalisation et déradicalisation et a présenté un ensemble de meilleures pratiques basé sur les principes du modèle.
Q. Quelle est votre vision concernant la radicalisation d’extrême droite en Europe à court, moyen et long terme ?
R. À court et moyen termes, je vois la radicalisation d’extrême droite gagner du terrain. Nous ne disposons pas d’un cadre conceptuel adéquat pour faire face à l’immigration massive et au problème de réfugiés causés par les conflits violents dans différentes parties du monde qui pourraient être exacerbés par les catastrophes naturelles imminentes provoquées par le changement climatique.
Notre point de vue sur les réfugiés est fondé sur le modèle humanitaire qui suppose leur rapatriement rapide. Ce modèle était applicable après la Deuxième Guerre mondiale, mais est complètement inutile pour ce qui est de l’actuelle réalité des réfugiés. Leur statut précaire et semi-permanent sans permis de travail et de personnes logées dans des camps temporaires sans emploi et sans statut dans la société est susceptible de les rendre vulnérables aux récits radicaux.
J’espère qu’à long terme, nous serons à même de repenser les problèmes d’immigration et de déplacement et trouver des moyens de fournir aux masses de personnes déplacées des moyens de restaurer leur sens de l’identité et de l’importance, en plus de leur offrir une sécurité et un abri de base.