L’étude du terrorisme dans son ensemble et l’étude de la radicalisation en particulier a fait des progrès remarquables ces deux dernières décennies. En dépit d’un important corpus de recherche rhétorique et empirique, certains phénomènes doivent être cernés dans leur entièreté. L’un d’entre eux répond à la question de savoir pourquoi certaines personnes s’adonnent à la violence après s’être radicalisé, tandis que d’autres pas. Il existe une kyrielle de théories de la radicalisation , mais la plupart s’attardent sur les différentes étapes de la radicalisation, les causes profondes , ou les multiples facteurs contradictoires qui rendent les gens davantage exposés à la vision extrémiste. L’on a encore du mal à comprendre l’étape ultime du passage de la radicalisation mentale à celle violente. Autrement dit, le fait de passer d’une simple idéologie à la pratique de la violence pour justifier celle-ci.
Comment l’auto-efficacité se manifeste-t-elle?
L’un des concepts qui fait foi de valeur explicative dans le choix de s’engager dans l’extrémisme violent est l’auto-efficacité sur lequel travaille le psychologue canadien Albert Bandura. Bandura a développé une importante théorie psychosociale et une théorie sociale cognitive en essayant d’expliquer les déterminants et les mécanismes du comportement humain. Il épouse une perspective interactionniste qui part du postulat selon lequel les humains sont façonnés par leur environnement, environnement qu’ils façonnent eux-mêmes par la suite. La structure situationnelle interagit avec l’agence individuelle pour former notre base comportementale et cognitive. De cette interaction entre l’environnement social et le moi naît donc l’auto-efficacité. Alors qu’elle se range derrière la prétendue «quête de l’importance» , l’auto-efficacité va au-delà du désir de compter ou d’«être quelqu’un». C’est la foi en la capacité à le devenir. Au lieu de souligner les compétences ou les capacités objectives, l’auto-efficacité décrit la perception de soi. C’est un moyen de description de la croyance d’un individu en sa capacité à prendre des mesures adéquates en fonction des situations. La capacité à nous exposer à une situation et à prendre des mesures dépend en grande partie de notre perception de l’auto-efficacité. Une faible auto-efficacité implique un éventuel échec et les individus ne seront pas motivés à l’idée d’agir s’ils n’envisagent pas le succès. Une forte auto-efficacité encourage l’individu et augmente, ce quelque soit son sexe, sa propension à s’exposer à la situation en question et à prendre des mesures. L’auto-efficacité détermine donc partiellement les situations sociales auxquelles nous nous exposons.
La précédente recherche sur l’auto-efficacité dans divers contextes a permis au concept d’être fiable , ce qui augmente la probabilité que l’auto-efficacité joue un rôle dans le processus de radicalisation. Si l’auto-efficacité indique quand et comment nous décidons de prendre des mesures et que son absence pousse les individus à se rétracter lorsqu’ils estiment qu’ils ne peuvent parvenir à leur fin, alors seuls ceux dotés d’une auto-efficacité assez forte atteindront l’extrémisme violent. La radicalisation cognitive peut-être indépendante de la foi en l’auto-efficacité, mais la radicalisation comportementale et les agissements guidés par la violence requièrent la capacité intrinsèque de mener une action efficace. L’extrémisme violent nécessite une croyance en nos propres capacités, notre propre entrepris et au fait que nos actions comptent. Cependant, l’auto-efficacité ne se développe pas en dehors de tout contexte, simplement par un processus de réflexion interne. L’on ne se lève pas un matin et décide d’être terroriste, l’acquisition de l’auto- efficacité est un processus social. Parce que l’auto-efficacité est en partie influencée par des facteurs exogènes, il est judicieux de se demander comment les organisations terroristes font pour susciter l’auto-efficacité chez leurs adeptes et pousser ceux-ci à agir violemment. Tandis que les croyances auto-efficaces sont influencées par de nombreux facteurs, Bandura pose entre autres principes l’hypothèse selon laquelle deux influences socio-interactionnistes sur la perception de l’auto-efficacité sont importantes pour la recherche en matière de radicalisation: la croyance sociale et l’expérience vicariante.
Croyance sociale
La perception de soi-même n’est pas statique, elle est modifiable et évolue de manière constante. Les croyances auto-efficaces, basées sur la perception de nos propres capacités sont également modifiables et évoluent au fil du temps. L’un des facteurs exogènes impactant les perceptions auto-efficaces à travers la croyance sociale est les figures autoritaires qui établissent le diagnostic de compétence. Par exemple, les enseignants peuvent exercer une influence sur l’auto efficacité de leurs étudiants à travers leurs commentaires et leurs encouragements. La croyance sociale peut croitre et décroitre les perceptions auto-efficaces du récepteur, tout dépend de ce que l’autorité communique à l’individu. Si des gens croient en nous, nous sommes plus enclins à croire en nous-mêmes. Mais si quelqu’un exprime son désir de nous voir échouer, nous pouvons commencer à douter de nos capacités. Il est important de noter que la croyance sociale ne peut se développer pleinement que si un individu croit que l’autorité détient le bon diagnostic de compétence, c’est-à-dire la capacité à juger de manière adéquate ses compétences.
Pour ce qui est de la propagande extrémiste, ces autorités peuvent être des recruteurs spécialisés, des militaires de l’organisation ou des guides spirituels. Grâce aux nouvelles technologies mises à leur disposition, les autorités disposant d’un diagnostic de compétence peuvent maintenant braver le temps et l’espace en communiquant directement avec les potentielles recrues via les réseaux sociaux ou les messages. Ils peuvent concevoir des messages sur mesure et inciter à l’action en augmentant l’auto-efficacité d’une recrue, ceci à travers des discussions en tête à tête. Cela peut par exemple augmenter la probabilité des soi-disant actions terroristes «télécommandées», où l’autorité encourage le terroriste via Messenger, ce qui le distingue des loups solitaires d’autrefois.
Expériences vicariantes
L’autorité n’est pas le seul facteur influençant notre auto-efficacité. Également appelée l’influence modelée, l’expérience vicariante décrit comment l’auto-efficacité est influencée par les pairs observateurs. Lorsque nous observons un semblable accomplir une action avec succès, nous sommes plus enclins à croire que nous pouvons aussi réussir. Pour le cas particulier de l’extrémisme violent, où il est difficile de s’inspirer des performances passées pour évaluer son auto-efficacité et sa capacité à agir, observer ses semblables peut être d’un grand apport dans l’évaluation du succès, si l’on commet un acte similaire. L’influence modelée n’implique en aucun cas le mimétisme comportemental. Étant donné que nous les humains sommes doués de raison, nous réfléchissons avant d’agir, mais les expériences vicariantes peuvent influencer notre auto-efficacité si nous estimons qu’ils sont importants. L’influence de l’expérience vicariante est en partie déterminée par le degré de similarité affiché par le modèle. Plus le modèle ressemble à l’individu, mieux l’expérience vicariante participe au développement de l’auto-efficacité.
Ce n’est pas une coïncidence si des groupes tels que l’État islamique en Iraq et en Syrie (ISIS) ont usé des étrangers comme figures de proue de leur stratégie propagandiste à l’échelle mondiale. Une étude de l’institut de Brookings a démontré que des 20 000 comptes Twitter de ladite organisation, un compte sur cinq a l’anglais comme langue de communication. Pendant son apogée, ISIS a également permis aux combattants de partager leurs expériences via les réseaux sociaux. Plus tard, ils en faisaient des vidéos de propagande. Modéliser l’influence pour d’éventuels combattants pas encore membres de l’organisation témoigne d’une grande similarité avec les recrues potentielles, ce qui augmente l’auto-efficacité de ces individus et les rend plus enclins à pratiquer la violence et à voyager pour le «Califat». L’auto-efficacité est l’un des déterminants du comportement humains et peut par conséquent jouer un rôle dans le processus de radicalisation et le comportement violent qui en résulte. Grâce à la croyance sociale et l’influence modélisée en matière de propagande extrémiste, les organisations terroristes cherchent à susciter l’auto-efficacité chez les potentielles recrues afin de les inciter à la violence. La confiance en ses propres capacités et un degré élevé d’auto-efficacité sont des facteurs importants pour perpétrer la violence et s’exposer aux réseaux sociaux extrémistes. Davantage de recherches, notamment d’ordre empirique sont nécessaires pour illustrer l’application théorique de l’auto-efficacité sur la radicalisation violente. Mais jusqu’à présent, le concept semble représenter une étape pour une meilleure compréhension du processus de radicalisation violente