L’apprentissage au sein des mouvements terroristes se fait par procuration. Leurs agents se nourrissent de l’expérience d’autres radicaux, y trouvant des exemples d’actes qui ont connu du succès et des mises en garde contre les erreurs qu’ils devraient éviter. Le fait que l’inspiration vienne d’autres groupes qu’ils qualifient d’ennemis ne génère pas trop de contradictions. Par exemple, après les attentats du 11 septembre 2001, une constellation de radicaux, de la gauche à la droite, ont monté de l’admiration pour l’audace avec laquelle Oussama Ben Laden avait humilié le pouvoir américain.
L’un des aspects qui suscitent le plus de fascination parmi les violents est, précisément, la capacité de certains acteurs à briser le siège médiatique auquel ils se considèrent soumis. Les terroristes sont convaincus de la vérité innée de leurs idées, ainsi que de leur capacité de transformation. Selon eux, le seul obstacle qui empêche la population d’adopter une approche généralisée est l’effort fourni par leurs ennemis pour maintenir le peuple dans un état d’ignorance et de manipulation. La violence, dramatisée de façon commode, est la clé qui donne accès à l’opinion publique. Et dans ce domaine, il y a beaucoup à apprendre des autres groupes qui ont réussi à faire connaître leurs idées et leurs objectifs à tous.
La violence terroriste inspirée par les idéologies d’extrême droite a, sur un plan historique fait montre d’une structure organisationnelle faible, ce qui a empêché ses militants d’adopter certains des exemples de succès donnés par les djihadistes, l’extrême gauche, et les terroristes ethnoséparatistes. Alors que ces derniers groupes ont tiré profit d’organisations complexes qui ont permis d’assigner à différentes personnes les fonctions de planification, d’exécution d’une attaque et d’exploitation propagandiste, la nature fragmentée de l’extrémisme d’extrême droite a souvent contraint les agresseurs individuels à assumer seuls tous ces rôles. Cela leur a imposé des limites considérables.
Ce fut le cas, par exemple, du terroriste norvégien Anders Breivik, qui a minutieusement conçu une chaîne d’attentats en juillet 2011. Après avoir lancé une voiture piégée contre des installations gouvernementales à Oslo, il a profité de la confusion pour débarquer avec un arsenal d’armes sur la petite île d’Utøya, où il a mis fin à la vie de 69 adolescents participant à un camp d’été organisé par un parti politique de gauche. Le but de ces attaques était d’attirer l’attention sur un très long manifeste qu’il avait écrit sous le titre «2083: Une déclaration d’indépendance européenne», dans lequel il désignait l’Islam et le «marxisme culturel» comme les principaux ennemis de la civilisation occidentale. Cependant, Breivik s’est bien assuré de ne publier le texte sur Internet que quelques heures avant de lancer ses attaques. En l’absence d’une organisation pour le soutenir, il devait lui-même assumer la responsabilité de l’exploitation propagandiste de ses actions, ce qui signifiait qu’il ne pouvait pas le faire trop longtemps avant l’attaque (ce qui pourrait alerter les autorités) ni après l’attaque (quand il serait probablement mort ou qu’il lui serait impossible d’accéder à Internet).
Il est probable que les auteurs des attaques choquantes contre les fidèles de deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, n’aient pas été exclusivement inspirés par les actions de ce terroriste norvégien. Il existe d’autres précédents, au-delà de l’extrême droite, dont ils ont pu tirer des leçons tactiques sur la façon d’organiser leurs crimes.
Le premier terroriste à utiliser une caméra GoPro pour documenter ses meurtres a été un djihadiste français, Mohammed Merah, qui a enregistré une vidéo à partir de sa moto en tirant sur des soldats et des enfants juifs dans la ville de Toulouse en 2012. À l’époque, il n’y avait aucune possibilité de diffuser des vidéos en direct sur Internet, alors Merah a pris la décision discutable de publier son enregistrement en l’envoyant sur une clé USB à la chaîne de télévision Al-Jazeera. La chaîne de télévision arabe a fait preuve d’un jugement judicieux et a décidé de ne pas diffuser même des images fixes de cette vidéo d’atrocité. En conséquence, les crimes de ce terroriste d’origine algérienne ont reçu beaucoup moins de couverture médiatique qu’il n’en aurait obtenu avec la diffusion publique des images.
Le premier terroriste à utiliser la fonction Facebook Live pour diffuser une attaque en temps réel était aussi un djihadiste. Larossi Abballa a assassiné deux policiers français en 2016 alors qu’ils arrivaient à leur domicile à Magnanville. Après avoir poignardé le couple, devant leur fils de trois ans horrifié, il a commencé à diffuser sur son téléphone portable un long plaidoyer, dans lequel il encourageait d’autres partisans de l’État islamique à suivre son exemple. Cependant, il s’agit également d’un exemple de succès plutôt flou puisque, e dépit du fait que la diffusion en streaming garantissait que son message ne serait pas réduit au silence, la vidéo a commencé après les meurtres, et malgré le fait qu’elle ait été enregistrée au domicile des victimes, elle montre uniquement le visage du terroriste. Cela le rendait différent des autres témoignages djihadistes «conventionnels», et par conséquent, il suscitait moins d’«attrait» médiatique.
La manière dont le massacre de Christchurch a été perpétré est une fusion des leçons tirées de tous ces précédents, en essayant de combiner les aspects qui facilitent une plus grande couverture médiatique. Pour obtenir des images à la première personne et leur diffusion instantanée, le terroriste a ajouté une nouveauté: la transformation des armes utilisées lors de l’attentat en instruments de propagande en eux-mêmes. Les fusils et les chargeurs étaient peints de multiples codes et symboles typiques de la sous-culture de la suprématie blanche et du mouvement néonazi. Les armes laissées par le terroriste deviendraient nécessairement la preuve d’une enquête judiciaire et policière, et il serait inévitable que les médias fassent écho à la symbologie complexe suprémaciste et à sa signification.
En conclusion, les fanatiques n’ont jamais cessé d’expérimenter les nouvelles possibilités offertes par la technologie. Malheureusement, nous continuerons d’être témoins des terribles fruits de ce processus d’imitation et d’innovation à l’avenir.